Quel programme chargé dis donc. J’ai reçu un petit agenda avec tous mes rendez-vous et les « routes » à suivre au sein de l’hôpital. C’est un peu comme si j’avais une secrétaire personnelle. Les nurses de la clinique du sein se chargent de tout cela, elles s’assurent que je ne doive pas revenir tous les jours et regroupent les rendez-vous. C’est assez bien foutu.

Saint Pierre, c’est comme un grande dédale avec des croisements entre les couloirs qui font penser aux grands échangeurs à Houston. Ils appellent cela « route » et il faut suivre les numéros et être attentif aux croisements. C’est rigolo, tout le monde se ballade avec la tête en l’air en regardant les panneaux au plafond. Tout le monde est très applique. Moi aussi.

Alors aujourd’hui, c’est un peu un marathon, on m’a collé un programme chargé mais je gère et j’espère avoir plein de petites pauses pour continuer mon blog.
J’ai commencé par la prise de sang. L’infirmière était super gentille. Parfois je me demande s’il n’est pas écrit « cancer du sein, soyez gentils avec elle ». Après la prise de sang, direction moins un, route 677, bureau médecine nucléaire pour la scintigraphie osseuse. Ça me fascine quand même cette médecine. Médecine nucléaire, je suis sûre que ça n’existait pas du temps de mes parents. C’est assez dingue en fait quand on y pense. On m’injecte un liquide radioactif a 9 heures et je dois revenir à midi précise car on sait que le liquide s’est bien fixe sur les os et bamps, on prend les cliches.
Appelons un chat un chat, c’est pour voir si je n’ai pas de métastases aux os. Je me demande si tous les gens dans la salle d’attente ont aussi le cancer. Peut-être pas. Je les observe, ils n’ont pas l’air triste. Remarque, moi non plus, je tapote de manière énergique sur mon clavier, ils doivent peut-être se dire que j’ai la pêche.
Je passe mon temps à ouvrir et fermer mon ordi quand j’entends « Madame Remy, c’est à votre tour. »
Ça y est, je suis radioactive ! It is kinda cool ! je dois pas m’approcher des femmes enceintes et des enfants. Il parait que je rayonne et si j’avais pris l’avion mercredi comme c’était prévu, l’appareil aurait sonné et ils n’auraient rien compris.
Chouette je tombe sur l’infirmière de la clinique du sein dans le bureau de médecine nucléaire. Elle voulait s’assurer que je n’avais pas de questions et me demande si je voulais une chambre seule ou commune. SEULE évidemment, vive la DKV ! Ceci dit, je ferais bien de les appeler pour comprendre comment ça fonctionne car la facture doit déjà être vachement élevée, je passe ma vie dans des machines et à être piquée pour soit prendre mon sang, soit recevoir des liquides.
Me voilà maintenant, direction route 520, rencontre avec l’anesthésiste. Je dis à la nurse en riant « C’est cool hein, je suis radioactive. » Elle me répond « Heureusement que vous me le dites car si j’étais enceinte, ça aurait été problématique. Bon, je vais m’assurer que je ne m’installe pas à côté de femmes enceintes car ça court les couloirs ici !
Il est trop sympa, un gros nounours avec un accent liégeois à couper au couteau. Il me pose plein de questions et tout a l’air d’être clair pour lui. Comme je suis fascinée par son métier, j’en profite pour lui poser plein de questions. Il est ravi de répondre a tout, il a l’air complètement passionne. C’est incroyable tous ces produits pour vous endormir en quelques secondes, je me suis toujours demandé comment ces anesthésistes faisaient pour réveiller le patient. Est-ce qu’ils injectent en fonction de la longueur de l’intervention, et qu’est-ce qui se passe s’il y a une complication et que ça doit durer plus longtemps ? J’étais ravie d’apprendre comment tout ça fonctionne et je me suis dit qu’on a plein de bol de vivre au 21eme siècle car ça devait être la galère avant.
Je fais un petit break à la cafète. Toujours aussi mouroir, c’est immonde et tout le monde a soit l’air triste, soit tire la gueule. Qu’est-ce que j’aurais rêvé que ce soit comme à Delta, un endroit un peu branchouille. Tant pis. De toute façon, je ne sais pas si je viendrai si souvent… l’avenir nous le dira !
Y a une nana qui a un turban sur la tête, elle vient probablement pour sa chimio. Y a rien à faire, ce turban, c’est vraiment le signe extérieur de la maladie et j’aime pas. Hier soir, j’ai passé une heure sur mon iPhone dans mon lit à regarder des magasins de perruques et j’ai opté pour cette solution la si je dois avoir de la chimio. Ce qui serait vraiment génial, c’est de pouvoir faire une perruque avec mes propres cheveux, je vais me renseigner. Je ne mets pas la charrue avant les bœufs, je me prépare et ça m’aide hyper fort. J’ai analyse toutes les « risques » possibles et j’ai déjà trouvé des solutions pour chaque risque alors je n’ai plus peur de rien.
J’entends à la radio qu’on recherche toujours ce jeune homme de 18 ans, Theo Hayez, c’est vraiment horrible. Ma maladie parait si peu a cote du désespoir de ses parents. J’espère qu’on le retrouvera sain et sauf.
J’attends mon rendez-vous pour le scan, je regarde autour de moi, pas de femmes enceintes à l’horizon, ouf.
Je me suis commandé un lunch pas mauvais du tout. Un wrap au poulet, juste un peu dommage que cette tortilla ne soit pas à la farine complète et que le poulet soit sans doute pique aux hormones. C’est quand même fou de se dire que s’il y a bien un endroit où il faut que la bouffe soit bien et 100% nutritive, c’est dans les hôpitaux. On en est pas là. Je dévore avec un appétit d’ogre, yeahh ! j’en profite car j’ai souvent l’estomac noué et je n’arrive pas à avaler quoi que ce soit. Ce matin, 49 sur la balance, je me bats de manière acharnée pour ne pas descendre en-dessous de 50 et le rêvé serait même de prendre 3-4 kilos avant l’opération pour avoir des réserves et surtout un peu plus de poitrine.
Il est temps de redescendre en médecine nucléaire. On me demande l’enlever tout sauf mon t-shirt et on me place dans une machine qui a la même gueule qu’une IRM. On m’accroche, on m’explique et on me dit que c’est plus cool qu’une IRM. Que dalle ! Bonjour la clostro, c’est épouvantable ce truc, y a une plaque qui arrive juste au-dessus de ma tête avec une petite croix dessinée au milieu. C’était tellement près que je sentais que mes yeux louchaient en la regardant. J’ai cru que cette plaque allait m’écraser la gueule mais elle s’est arrêtée juste à temps.
« Allez, allez, mental, concentre-toi sur autre chose. Allez Delphine, you can make it ». Merde, ce sentiment de clostro m’envahit, je fais quoi ? Je lève la main ? J’avais demandé au préalable ce que je pouvais faire si j’avais une gratouille dans le nez, elle m’a dit que je ne pouvais pas me gratter. Vous devinez la suite ? On a justement une gratte dans le nez quand on sait qu’on ne peut pas se gratter. Allez go go Delph.
J’ai décidé de laisser mon esprit se balader et je me suis posé plusieurs questions :
- Je me demande comment ils ont fait pour descendre cette machine au -1, j’imagine que ça se démonte. Quelle question idiote, on s’en fout !
- C’est quoi au fond un cancer des os ? J’ai pas vraiment le souvenir de connaitre quelqu’un qui a eu ça ? Est-ce qu’on en meurt ? J’ai l’impression que c’est pas un « bon » cancer.
- Une idée terrible me monte à la tête… S’il m’arrive quelque chose, je ne peux pas supporter l’idée que mes enfants puissent souffrir.
- Comment est-ce que je pourrais enlever ce morceau de carotte râpée coincée entre mes dents ?
Comment est-ce que le cerveau peut passer des idées les plus futiles aux plus profondes et dramatiques en quelques secondes ? On m’aide à sortir de la machine.
« Ça va vous savez, je sais le faire toute seule. »
« C’est juste pour que vous ne vous cognez pas la tête sur les écrans. Votre bilan est rassurant. »
C’est quoi ces mots débiles ?
« Oui mais rassurant comme « rassurant, vous n’avez pas le cancer des os ». Ou rassurant comme « rassurant, je ne vois rien, mais en fait, c’est quand même possible qu’il y ait quelque chose ? »
« Rassurant rassurant. »
Je la crois et je me dis que c’était la première option.
Allez, direction maison. Je découvre dans le miroir de mon pare-soleil que j’ai attrapé deux petits cheveux gris naissant. J’espère que le soleil va pointer le bout de son nez, j’ai vraiment envie de bronzer avant mon opération, ça me donnera le moral !