La montage russe est encore en pente… en voyant ma tête de boxeur, je repleure parce qu’elle me fait penser à la tristesse de la veille. C’est le serpent qui ne mord la queue… Allez on va essayer d’avoir une meilleure journée. J’ai oublié de vous dire que Didier a fini par annuler son contrôle fiscal. Le bonheur. Le bonheur d’avoir Didier à mes côtés à Saint-Pierre. La journée est plutôt chargée.
On enfile un petit déjeuner. Ce matin, je n’ai pas faim et je me sens un peu comme une oie qu’on gave. Je décidé d’avaler péniblement deux tranches de pain de chez Cru avec du beurre au lait cru, du saumon et des crevettes grises.
En route vers l’hosto avec un stop dans une pharmacie qui vend pas mal d’homéopathie. Le docteur J m’avait prescrit des petites gélules qui ne se trouvent pas partout. Je me traine jusqu’à la pharmacie, j’achète d’autres produits pour mon séjour à l’hôpital dont une eau aux huiles essentielles en spray pour donner une impression de fraicheur après l’anesthésie.
Je check mon horaire de la journée ainsi que les « routes » à suivre dans l’hosto. Merde, je vois qu’il fallait être à jeun pour le scan foie/poumon. La journée a de nouveau mal démarré. Du parking, j’appelle vite les infirmières de la clinique du sein qui me disent que je risque d’être malade avec le liquide de contraste qu’ils vont m’injecter pendant le scan. Je m’excuse 10 fois et je m’en veux tellement d’avoir foiré. J’avais tout respecté à la lettre jusqu’à présent mais j’avais complètement zappé qu’il fallait être à jeun pour ce scan. Heureusement que Did est avec moi sinon j’aurais à nouveau éclaté en sanglots.
Ils sont tellement gentils, pas un énervement de leur part, ils se creusent la tête pour savoir comment ils vont pouvoir me caser l’aprèm. Direction maison, le scan est refixé à 14 heures.
« Plus manger, plus boire jusque 14 heures. Vous n’oubliez pas, ok ? »
En quittant le parking de Saint-Pierre, je remarque qu’il y a un cimetière en face de l’hosto et je trouve ça hyper glauque. Est-ce qu’on a idée de mettre un cimetière en face d’un hôpital ? Je ne pense pas que vous auriez tilté mais moi, ça me choque.
On a deux heures devant nous, Didier bosse un peu et déjeune. Je tapote à mon ordi. Je réponds à tous les adorables messages. J’étais complètement en retard. Je pourrais me dire que les messages n’attendent pas de réponse et arrêter de me mettre la pression de répondre à tout le monde. Et bien non, je me sens plus à l’aise de répondre à tous les messages « privés ». Je m’organise en faisant des petites listes et je barre au fur et à mesure.
Rebelote Saint-Pierre avec Didier qui, en temps normal, aurait peut-être été un peu énervé de faire un aller-retour pour rien. Il est d’un calme olympien et ne bronche pas. Il y a un monde de fou dans les couloirs. J’entends Didier susurrer « C’est journée portes ouvertes ou quoi ? » J’arrive à un guichet où 4 infirmières discutent de la pluie et du beau temps car il n’avait pas un chat.
« Votre mari doit vous attendre dans la salle d’attente. »
Je suis super triste que Didier ne puisse pas venir avec moi à côté du scan. A vrai dire, j’avais envie qu’il voie vraiment tout pour mieux réaliser, les scans, les injections, les clichés, … Ma réalité de tous les jours. Ils auraient pu franchement l’installer avec la radiologue derrière la vitre pour éviter de se prendre les rayons. Je pense qu’il y a aussi un souci de confidentialité car il y a plein de noms de patients et en plus, ce serait la foire si tous les conjoints demandaient de s’installer à côté du radiologue.
Une nouvelle machine pour moi, je commençais à les connaître toutes. On me fait une perf, encore et encore. On m’installe dans la machine. Gros coup de cafard. Toutes ces machines qui me fascinaient ne me fascinent plus du tout. J’ai l’impression d’être un corps malade qu’on scan sans arrêt et je n’en peux plus.
« Nous allons vous injecter un liquide de contraste pendant le scan. La machine va vous parler et vous indiquer quand vous devez bloquer votre respiration. Quand nous allons injecter le liquide, vous sentirez comme une grande chaleur qui va de la tête jusqu’au pubis. Ne vous inquiétez pas, c’est tout à fait normal. Vous aurez aussi l’impression d’avoir envie de faire pipi. Ne vous inquiétez pas, ce n’est arrivé à personne, c’est juste une impression. »
C’est quoi ce truc ! Ça y est, je suis sûre que je serai la seule à qui ça va arriver. Delphine, concentre-toi pour éviter la catastrophe. Tout se met en route, mon corps rentre et ressort de cette machine plusieurs fois. J’en ai ras-le-bol et je verse quelques larmes toute seule dans ce grand tube.
« Voilà, c’est fini. Le radiologue devra lire les clichés. Vous avez rendez-vous avec votre médecin avant l’opération ? »
« Non, c’est demain. Est-ce que vous pouvez les interpréter maintenant. Je peux attendre dans la salle d’attente le temps qu’il faudra. »
« Nous ne travaillons pas comme cela. Un médecin vous contactera plus tard. C’est qui votre médecin ? »
Je ne sais pas qui est mon médecin, j’en ai 5 depuis lundi.
« Je vous en supplie, demandez au radiologue de les lire maintenant. Je me fais opérer demain et j’aimerais vraiment savoir si les poumons et le foie sont nickel. J’ai vraiment besoin de bonnes nouvelles. »
« Ok, nous allons faire une exception, attendez dans la petite salle où vous vous êtes changée, le médecin vous rejoindra. Ce sera plus agréable que la salle d’attente. »
Ça y est, mon esprit commence à imaginer toutes sortes de choses. Pourquoi dans la petite salle ? Est-ce qu’il a une mauvaise nouvelle à nous annoncer ? On n’annonce pas les mauvaises nouvelles dans une salle d’attente. Je me sens mal. Didier rattache mes bijoux pour la 20ème fois cette semaine.
Le médecin débarque avec une tête d’enterrement et nous dit « Le bilan est rassurant ».
La pauvre, il en a pris plein la tronche.
« J’en ai ras-le-bol de vos mots qui ne veulent rien dire. Rassurant, ça prête à confusion. Le médecin en médecine nucléaire a dit la mêmes chose. Pourquoi vous dites pas « le bilan est nickel, vous n’avez pas de cancer du foie et du poumon ». Rassurant pour moi, c’est : rassurant, je ne vois rien mais ça se peut qu’il y ait quand mêmes quelque chose que je ne vois pas. »
Didier se demande ce qu’il me prend. Le médecin ne comprend rien à ce qui lui arrive et moi je suis furibonde.
« Madame, vous auriez préféré que je vous dise que votre bilan n’est pas rassurant ? »
« Non, mais j’en ai marre de ces mots qui prêtent à confusion et de toutes ces machines, ces clichés, ces perf, ces produits. J’en ai marre de tout. »
Ça devait tomber sur quelqu’un. Pas de chance, c’est tombé sur lui.
Après ce scan, direction clinique du sein, je pourrais me diriger dans l’hôpital les yeux fermés. On est reparti pour un paquet d’injections dans le sein. J’étais trop contente que Didier rencontre enfin docteur Sh. Elle prend le temps de lui réexpliquer un tas de choses. Je vous passe tous les détails mais le but de cette visite était de préparer tout pour le chir le lendemain. Il faut lui indiquer ce qu’il faut couper car pendant l’opération, il ne voit pas ce qui est mauvais et doit partir.
Me voilà donc tatouée à l’intérieur et à l’extérieur (du sein) avec un liquide noir. Le chir passe et il inspecte, la radiologue lui explique. Docteur Derek a toujours l’air de gérer la situation, c’est super rassurant. C’est complètement idiot mais je me dis quand mêmes que s’il doit opérer plusieurs femmes le lendemain, j’espère qu’il ne confondra pas. Je continue à penser à des choses tout aussi idiotes « J’espère qu’il ne sera pas crevé quand ce sera mon tour. S’il prend un petit café entre les coups, il aura les mains qui tremblent » Delph, a quoi tu penses ! Elle termine par m’injecter un liquide radioactif qui va se fixer sur les ganglions. Docteur Derek aura comme un espèce de petit crayon qu’il passera au-dessus des ganglions. Je ne sais pas trop s’il sonne mais ça lui donnera des indications sur le ganglion à enlever, le fameux ganglion sentinelle. Fascinant. Je me dis que si j’avais été malade il y a 50 ans, j’y serais passée sans tous ces progrès hallucinants de médecine.
On rentre à la maison et je décide d’appeler Morgane d’une maison d’éditions en France. Nous avions discuté d’un projet de livre (de nutrition bien évidemment). J’ai l’impression que ce n’est pas honnête de ne pas lui avouer que j’ai un cancer. Je sais, c’est débile. Ce que Morgane m’a répondu m’a réchauffé le cœur « Mais, ça ne change rien pour nous. » J’étais tellement émue mais je me suis retenue car c’était la première fois que je parlais à Morgane et je voulais être forte ! Je me sens tellement rassurée de ne pas être écartée de tout projet de nutrition à cause de mon cancer. J’ai la conviction que l’écriture sera mon alliée dans ma guérison, je le lui dis. Mon rêve pour l’année prochaine, c’est d’écrire. Écrire un livre et continuer mon blog. Je lui dis que si j’écrivais un livre sur mon cancer, ça viendrait encore plus des tripes qu’un livre de nutri ou psycho. Elle me dit qu’ils sont également intéressés par des témoignages, mais pour écrire un bon témoignage, il faut avoir du recul. Elle a tout à fait raison.
La soirée est formidable. Nous dinons en famille. Mes 3 hommes sont d’une douceur et d’une gentillesse extraordinaires.
Je n’arrive pas à m’endormir et je décide de prendre un cachet car j’avais besoin d’arriver reposée à l’opération.