Le jour J ou Opération numéro 1

Le jour J ou Opération numéro 1

Aujourd’hui, c’est l’opération. Je croyais que cette semaine allait être interminable. Que dalle, elle a foncé.

A l’heure où j’écris, on est le jour J+4, je suis carrément crevée ce matin alors je vais juste parler des moments forts du Jour J et du lendemain.

Je suis rentrée à Saint-Pierre à 8 heures piles. Il fallait commencer la journée par le médecine nucléaire pour voir que le liquide radioactif avait bien migré jusqu’aux ganglions. Nickel, il était bien arrivé ! Je pensais que Didier aurait pu m’inscrire pour mon séjour à l’hosto. Pas de chance, je devais être là pour qu’on m’installe mon bracelet. Ce bracelet est vachement important car ça permet de reconnaitre les patients au bloc opératoire ! On rigole pas avec ça.

Je réponds à toutes les questions. Télé, pas télé, internet, chambre seule, … on me refile toute une farde d’accueil, un peu comme quand on arrive dans un Resort All-Inclusive ou un Club Med. Route 240, 3eme étage, j’allais trouver ma chambre. De nouveau, un peu comme quand on arrive à l’hôtel. Je rentre dans le petit bureau des infirmières. Vous voyez cette pièce au milieu du couloir derrière une vitre. Je tombe sur une personne en blouse blanche, je me présente et lui demande quel est le numéro de ma chambre.
« C’est pas moi qui m’occupe de ça. »
« Et qui s’occupe de ça ? Je me fais opérer ce matin et je dois attendre dans ma chambre. »
« Les infirmières. »

Je me demandais bien ce qu’elle était, elle avait tout l’air d’une infirmière. Je trouve quand même que l’accueil n’est pas hyper chaleureux. Toutes les portes sont ouvertes et je vois plein de vieux assis sur le lit, c’est glauque. Je me dis que je suis la plus jeune de l’étage à avoir un cancer. Une infirmière arrive et je lui raconte l’accueil chaleureux que j’ai reçu.  
« C’était une médecin, pas une infirmière. » Elle lève les yeux au ciel l’air de dire que c’est pas toujours facile entre eux. J’ai compris. Je remarque la main de Fatma qu’elle a au cou, c’est ravissant. Elle m’installe et Didier commence à tout déballer et installer dans les armoires.

Je m’occupe des « fameux câbles ». Heureusement que Mathilde m’avait tout explique pour les câbles, les rallonges, les chargeurs !! Merci Math ! Elle m’avait dit que les prises n’étaient jamais aux bons endroits et m’avait conseillé de prendre un multi prise assez long comme ça je ne serais pas emmerdée à sortir de mon lit pour avoir accès à l’ordi et le téléphone qui rechargent. Mon Dieu, elle m’a sauvée ! Tout était à portée de main, ce qui s’est avéré bien utile quand ma tension s’est cassé la gueule, plus moyen de me lever.

On fait une vidéo rigolote de la chambre (en mode humour, comme disent les kids) et quelques photos de nous deux (Did et moi). Didier doit foncer car il a rendez-vous chez le notaire pour signer le compromis.

Me voilà bien installée. J’ai droit à quelques visites d’infirmières qui me donnent quelques instructions comme me laver tout le corps avec un gel douche rouge désinfectant (qui ne laisse pas de traces rouges), ôter mon vernis à ongle sur les pieds (contrairement à ce qu’on m’avait dit la veille, je trouvais que c’était peps d’avoir les ongles des orteils orange), boutonner mon espèce de robe de nuit, enfiler la culotte en filet hyper sexy, …

J’avais deux heures devant moi. Je donne quelques coups de fil, réponds à quelques messages et reprends mon blog. Chouette j’ai du temps pour souffler.

Rien du tout, une infirmière débarque.
« C’est l’heure. »
« Déjà ? »
« Oui, le docteur est prêt. »

Elle s’apprête à pousser mon lit. 
« Mais je peux descendre à pied, vous savez. »
« Non, non, je vous pousse dans votre lit car vous serez remontée dans ce lit. »
« Ok, je comprends mais je trouve que c’est plus sympa d’arriver au bloc à pied. »

Comme dans les films, les deux portes où il est écrit « Bloc opératoire » s’ouvrent. Ça y est, me voilà dans un univers complètement diffèrent. On me parque dans une pièce remplie de caisses en carton et en plastique empilables. J’imagine que c’est tout le matériel pour les opérations qui arrive par cette pièce.

On était trois, je me retrouve à côté d’un vieux monsieur qui me dit
« Bonjour, moi je me fais opérer de l’épaule. »
Je dis juste bonjour et je lui tourne le dos car j’avais pas envie de causer. Après coup, je trouve que j’ai été épouvantable avec ce Monsieur, il n’a peut-être pas la chance d’avoir une famille.

A côté de lui se trouvait un enfant dont les deux jambes étaient plâtrées et suspendues par des câbles sur une grande tige en métal horizontale. Je n’arrive pas avoir son visage car le vieux monsieur le bloquait mais à la taille de ses pieds, je me dis qu’il a 18 mois à tout casser. Remarque, il parlait déjà un petit peu, donc peut être deux ans. Ses parents étaient avec lui et lui parlaient non-stop. Ils lui expliquaient tout. Le chirurgien et l’anesthésiste ont débarque pour parler aux parents et tout réexpliquer, j’imagine pour le 100eme fois. Ça y est, on l’embarque et il pousse des hurlements. Les parents ne pleurent même pas (j’ai pas compris…) pas mais moi, j’éclate en sanglots. Pauvre petit bonhomme.

J’attends et j’ai un cafard monstrueux, je pleure et je me redis sans cesse que je n’ai pas écouté mon corps, que je me suis foutue dans cette situation, que je suis responsable de tout ce qui m’arrive. Je m’en veux terriblement. Le chir arrive et me voit dans cet état. Je lui dis juste que je suis fatiguée et que je me sens terriblement seule. Je voulais dire seule à l’intérieur car j’étais loin d’être seule. Il inscrit un tas de choses sur mon bracelet en me disant que c’était pour être sur qu’il ne se trompe pas et ne m’enlève pas la vésicule ou une jambe. Il disparait, de même que ce qu’il avait écrit sur le bracelet, ce n’était pas un indélébile. J’appelle une infirmière qui rangeait les caisses et lui dis qu’on ne voit plus rien sur le bracelet.
« Ne vous en faites pas. »

5 minutes après, une infirmière me pousse et j’arrive dans la salle d’op. Qu’est-ce que j’aurais adoré que ce soit mon lieu de travail.

Il fait polaire.
« Dites, il fait caillant ici. »
« Ne vous inquiétez pas, on vous met une couverture chauffante. »

Je me demande encore aujourd’hui si c’était vrai. Elles sont trois. L’assistante du docteur Derek, une adorable femme qui pointe sa tête au-dessus de la mienne.
« Bonjour, je suis l’assistante de Docteur Derek. »
« Moi, je suis l’anesthésiste. »
Je ne me souviens plus du rôle de la troisième, probablement une nurse. On échange quelques questions dans le genre « vous habitez ou, que faites-vous dans la vie, … ? »

Je me souviens leur avoir dit :
« Je suis nutritherapeute et j’attrape un cancer, c’est quand même le comble. »
On me triturait la main et m’installait le cathéter. Puis j’ai entendu :
« On va vous mettre un masque à oxygène comme ça vous pouvez remplir vos poumons… »
J’ai respiré un bon coup, j’ai senti que je flottais comme Jessy dans Breaking Bad.

Puis plus rien.

Je me retrouve dans la salle de réveil, un enfer. Je me sentais comme une droguée dans un hall de gare. Un trafic et un brouhaha pas possibles à côté de moi, ça rentre et ça sort. Je me sens complètement shootée et nauséeuse. La salle était remplie de lits, tous reliés à des écrans et puis tout à coup, ils ont tous disparu sauf un lit a côté du mien. De nouveau, je sens une espèce d’agitation autour de mon voisin, on soulève ce monsieur dans tous les sens. J’ai compris qu’il avait eu un petit accident, je vois des pannes, des serviettes, des tissus passer au-dessus de ma tête. J’avais le tournis.

Ça se calme et sur ma droite, je vois trois infirmières assises autour d’une table. Elles se sont mises à causer super fort, c’était insupportable. Elles parlaient d’un lave-vaisselle pour pannes ou il y avait moyen de ne pas vider les pannes avant. J’étais dans les choux et crevée et je n’arrivais pas à leur dire de se taire. Je trouvais que c’était un manque total de respect de gueuler à côté de moi. Petit à petit, je récupère mes esprits. Enfin 25 pourcent de mes esprits.

Je vois une horloge sur la gauche et je me dis :
« Merde 15.45. William est en haut, il va louper son cours de golf. Déjà qu’on n’annulait le voyage à Washington où il avait trouvé un tas de magnifiques parcours, je ne veux pas qu’il loupe sa leçon à cause de moi. »

J’étais tellement nase, je me souviens avoir baragouiné quelque chose au sujet de ce cours de golf et me voilà tout à coup dans ma chambre, je ne me souviens pas du trajet, ni de rien à part les deux têtes de Will et Did au-dessus de moi.
« Didier, il faut déposer William au golf, il va être en retard. »

Je ne vais pas vous raconter le récit du séjour à l’hosto. Voici quelques bullet points :

  • J’ai eu la nausée du début jusqu’à la fin.
  • J’ai pas dormi une seconde la nuit.
  • L’infirmière a peté un câble quand je l’ai appelée à minuit parce que mon pansement s’était déroulé en allant à la salle de bain. Elle était seule pour 27 chambres qui sonnaient toutes en même temps à la même heure. Elle est venue s’excuser après. La pauvre, ce sont des conditions de travail épouvantables. Elle m’a tout expliqué au milieu de la nuit. De toute façon, je ne dormais pas.
  • Un « renfort caisse » (c’est comme ça que l’infirmière de 2 heures du mat s’est présentée) m’a refait mon bandage.
  • J’ai vidé le stock de baxters anti-nausées de l’étage, peut-être même de l’hôpital.
  • Aller faire pipi me paraissait comme escalader le Mont-Blanc.
  • J’ai trouvé ça débile qu’ils servent des repas pro-cancer du début jusqu’à la fin. Des tranches de pain à l’américaine emballées dans du plastique, du Becel (première fois que je goutais, c’est dégueu), des confitures 100 pourcent sucre, …
  • J’ai cru que je ne sortirais jamais de là tant j’avais la nausée et la tension à plat, mais après la visite de Ludmilla le lendemain, j’étais requinquée, enfin presque. Elle m’avait apporté des fruits rouges, j’ai avalé toute la barquette et ça allait beaucoup mieux.

Did allait au baptême d’Olympia l’après-midi. Je l’ai appelé au baptême.
« Did, c’est bon, j’ai décidé de rentrer. Ras-le-bol, tu peux passer me prendre après le baptême. »

On a tout emballé en deux temps trois mouvements mais la grande question était de savoir comment j’allais arriver à la voiture. Les déplacements jusqu’à la salle de bain étaient déjà toute une escapade, le parking était une mission impossible.

Une charrette roulante évidemment!

On arrive à tout prendre en une fois. Je m’installe, Did me tape la valise sur les genoux, on accroche tout le reste à tous les crochets qu’on trouve et c’est parti direction ascenseurs. Et là débarquent Diane, Celia et William. Trop génial. Quelle chance, a 1 minute près, on les aurait loupés.
« Mais William, qu’est-ce que tu fais là ? »
« Diane et Celia sont passées à la maison pour déposer un petit paquet et on a décidé de venir te voir. » Faut dire que William adore les glaces de Saint-Pierre.

On a ri comme des baleines. Diane et son humour décalé. Elle avait un petit paquet de Mathilde et une BD qui m’avait l’air géniale. Je ne l’ai pas encore lue.

Celia m’a offert un bracelet avec un petit trèfle à quatre feuilles qui ne me quitte pas. On a tellement ri que j’avais des crampes au ventre de lendemain.

Retour à la maison super pénible. J’accusais le coup de la nuit blanche. Des pleurs, des grelottements d’épuisement, une incapacité à me changer, un sentiment d’impuissance, des questionnements, un sentiment de culpabilité. Rien de positif. J’étais au bout de ma vie. Les boys étaient là, adorables. La seule chose qu’il fallait, c’est dormir, point barre.

Did m’a installée dans mes plumes et j’ai quasi fait le tour de l’horloge. Le lendemain, j’étais une autre femme!

10 Comments
  1. J’ai des frissons en te lisant, merci Delphine de nous partager tout ça ❤️

  2. Besoin d’aide? N’hes Pas à appeler au secours, Kiss et bon courage

  3. Hello Delphine,

    We haven’t been in touch for a while, but I read one of your Facebook posts tonight and I understood that you are not well at all. So I read your blog. I am in shock to hear that you have breast cancer! I am so so terribly sorry for you, what can I say? It must be hell to go through all the tests, scans, the whole medical merry-go-round. And to have a cancer diagnosis creates such tension and such fear……. I hope, personally, that writing your blog is a great letting of steam for you and you write so well and even in all your misery, very entertaining. You are a wise and courageous girl, you will come to grips with this, I hope.
    In the past year (2018) I finally had two hip-operations. It was difficult, but nothing compared with what you have to face and go through. But I understand so well your description of feeling very lonely once you were in the operating theatre. Being ill is a very lonely experience, in spite of all the loving people around you.
    I think of you, I keep my fingers crossed for you and send you lots of love,

    Liesbeth Stekelenburg-Terpstra

    1. My dear Liesbeth. Thank you so so much for your sweet message. I am so happy to hear from you! You can barely imagine. I am feeling strong most of the time and this blog is my therapy. I enjoy it so much, it helps me a great deal to put everything on paper (computer) and let it go. Words come so easily, my heart is speaking and my fingers type almost automatically, it feels like a very special channel between my heart and my computer. It is also my connection with the exterior world because I don’t want to spend time on the phone giving news, I send people to the blog. I don’t hide anything, I am very open as you can read. Strangely enough, I don’t feel alone AT ALL, I feel so surrounded by so many people and messages like yours boost me like you can barely imagine. They are like beautiful gifts and allow me to charge my batteries. Don’t compare your hip-replacements with what I am living, it is as difficult because you went through a lot in the last years. Too much for one person and I admire your courage. How is the pain going? I would be so happy to see you again in the coming months! XO LOVE. Delphine

  4. WoW Delph, quel récit, quelle belle plume, quelle émotion, quel magnifique partage! J’ai dévoré tout ton blog d’un coucou! J’avais l’impression d’être près de toi et j’avais tellement envie de te prendre dans mes bras! J’admire ta force, ton courage et bravo pour la simplicité et la vérité dans tes mots! J’espère vraiment te voir très vite, nos papotes me manquent <3. Biz. Cath

    1. Oh quel adorable message! Il est vraiment tant qu’on se revoit. Ce serait meme genial de faire un diner VF mais d’abord un diner en mini comite. Merci de tout coeur pour ton message si encourageant. Ecrire me fait un bien fou, c’est extraordinaire, c’est ma therapie et ma connection au monde car je n’ai pas trop envie de passer du temps au telephone. Je me mets dans ma bulle sous une couverture et les mots viennent tout seuls. Parfois, je pleure mais rarement mais souvent je souris. Je reverais que ca aide toutes les suivantes qui passeront par la, autant que ce soit un win win! Tout plein de kiss

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