La clinique du sein, c’est un peu comme une école de langue hyper efficace !

La clinique du sein, c’est un peu comme une école de langue hyper efficace !

La photo n’a rien à voir avec la titre mais comme ce blog est plus léger, j’ai essayé de trouver une photo inspirant la légèreté.

Je suis sûre que vous vous dites que je me dis (un peu long comme construction de phrase…) qu’il n’y a que celles qui sont passées par là qui comprennent vraiment. C’est pas tout à fait juste et c’est pas tout à fait faux. Mais pour cela, je dois vous expliquer un phénomène linguistique de malade (au sens propre comme au sens figuré) !

Tous les messages que je reçois sont tous si poignants, c’est magique. Tous plein d’empathie et de paroles réconfortantes. Certains plus poétiques, certains plus drôles, certains plus boostant, certains plus émouvants. On est tous si différents quand on envoie des mots gentils à une personne malade. Mais il y a quelque chose de différent dans les messages de celles qui ont vécu la même chose et de ceux et celles qui ont vécu de près la maladie d’un proche ou d’un enfant.

C’est fou, c’est comme si tout à coup, je découvrais une nouvelle langue que je ne connaissais pas et que je n’aurais jamais pu comprendre avant. A la différence du long apprentissage d’une langue étrangère, celle-là s’apprend en deux secondes. Enfin elle s’apprend juste après avoir pris le trois tonnes dans la tronche (Moi, un cancer ? Mais non !). Ce qui encore plus fou, c’est que la maîtrise quasi parfaite de la langue avec quasi toutes ses finesses arrive après le diagnostic post-opératoire, juste après le trois tonnes et le coup de massue (J’ai rêvé que j’avais dans le ventre un serpent qui avait avalé un chat). C’est vraiment un phénomène incroyable et je me dis que ce serait le rêve de pouvoir apprendre des langues étrangères aussi rapidement.

Cette langue est pleine d’empathie, de sympathie, de codes médicaux, de mots très techniques, de souffrances partagées, d’émotions, de « de tout cœur avec toi » et de « je comprends tellement » qui sonnent tout à fait différemment qu’auparavant. C’est vraiment très très spécial.

Et puis y a plusieurs dialectes aussi et ça, c’est encore plus surprenant. Si vous demandez à un Liégeois de comprendre un Canadien profond ou à Didier par exemple qui parle bien le flamand de comprendre un Hollandais du Nord, ils comprennent que dalle. Cette nouvelle langue a plusieurs dialectes et toutes celles qui la parlent comprennent aussi les dialectes des autres. Dommage que ça ne se passe pas comme ça dans la vraie vie, ça simplifierait tellement un tas de meetings professionnels. Je me suis demandé si j’arriverais à trouver des petits noms mignons pour chaque dialecte mais je suis un peu en manque d’inspiration alors je vais les nommer de manière plus cash. Ces dialectes ne correspondent pas à des zones géographiques mais à des stades de la maladie ou expériences vécues de la maladie. Ils sont parfois au présent ou au passé.

Donc je vais dire que la langue officielle est nommée « J’ai ou j’ai eu un cancer du sein. »

Les dialectes sont les suivants :

  • « J’ai eu la totale ». La totale = mastectomie(s) + chimio + éventuellement rayons + hormonothérapie + reconstruction(s). Je dirais que ces filles qui parlent cette langue, c’est un peu comme les PhD**. Elles ont une maîtrise de la langue surprenante et elles peuvent enseigner toutes les finesses à toutes celles qui parlent les autres dialectes.

** Maman m’a conseillé de mentionner qu’un PhD est un doctorat pour celles qui ne le savent pas. Le doctorat est un titre sanctionnant une expérience de recherche, de durée variable suivant les pays, ainsi que la rédaction et la soutenance d’un mémoire ou d’une thèse (thèse de doctorat). L’accès à un projet de recherche doctoral s’effectue à la suite de l’obtention d’un master (ou d’un niveau jugé équivalent).

  • « J’ai eu une tumorectomie + des rayons + l’hormono. » La maîtrise est parfaite également et elles peuvent comprendre le « j’ai eu la totale » super bien mais elles ne sont pas aussi avancées que les PhD. Elles peuvent également enseigner à toutes celles qui viennent d’apprendre la langue « j’ai un cancer du sein » suite à un coup de téléphone du médecin.
Il y encore plein de dialectes comme “J’ai eu une double mastectomie + des reconstructions galère + hormono mais pas de chimio”. Y en a un paquet que je pourrais écrire 10 blogs ! 
 

Puis évidemment, je dois faire une mention vraiment très très spéciale à celles qui ont un double PhD. J’ai une admiration sans borne pour celles-là et tout ce que je veux, c’est les serrer dans mes bras. Non seulement, elles ont la meilleure maîtrise de la langue, c’est un peu comme la maîtrise suprême et en plus elles ont tant de choses à nous apprendre sur la fragilité et la beauté de la vie et notre devoir d’être reconnaissant d’être en bonne santé. Une pensée toute particulière pour Sophie qui est pour moi un modèle d’admiration. Si vous avez parfois besoin d’apprendre à relativiser (dans le genre “c’est la catastrophe, mes rosiers ou mon gigot ont cramé, j’en suis malade”) et à apprécier chaque instant de la vie, vous devriez vraiment rencontrer Sophie. Et je peux vous dire que vous apprendrez très vite avec elle. Ce dialecte s’appelle « j’ai un cancer à métastases ». C’est un dialecte terriblement émouvant.

Et puis, y a encore d’autres dialectes tels que « j’ai que de la chimio pour le moment, on verra après ». Attention, attention, on peut changer de dialecte en un instant suite à une conversation avec le chir ou l’oncologue. Donc par exemple « j’ai que de la chimio pour le moment, on verra après » peut devenir « je vais avoir la totale ». Changer de dialecte est parfois vraiment trash. Oh et puis j’ai oublié de dire qu’il y a des sous-dialectes aussi. Dis donc, j’espère que vous ne vous perdez pas dans toutes ces langues. Il y a une légère nuance dans l’intensité des émotions entre « Je vais avoir la totale » et « J’ai eu la totale ».

Perso, je suis au stade « J’ai eu une tumorectomie mais les marges n’étaient pas saines alors je vais avoir une mastectomie. L’hormono vient en prime avec l’ablation. » J’attends encore 3 semaines et je verrai si après le rendez-vous avec l’onco, j’aurai tout à coup maîtrisé les finesses de « J’aurai la totale ». 

En fait, la clinique du sein, c’est comme une école de langue hyper efficace où tous les cours sont remboursés par la mutuelle et/ou la DKV.

Je vais la faire courte parce que parfois c’est beaucoup plus complexe encore et généralement le monde extérieur se perd un peu quand ils entendent « J’ai eu la totale, je suis sous Tamoxifène pendant 10 ans » ou « J’ai eu une tumorectomie et les rayons et je suis sous Femara pendant 5 ans ».

Il y a une femme sur 8 qui connaissent ou apprendront cette langue aussi rapidement que je l’ai apprise. Les finesses viennent au fur et à mesure des rendez-vous chez les médecins. Je souhaite à toutes les femmes qui l’apprendront un jour de ne jamais devenir des PhD et d’être aussi courageuses que Sophie si elles “doivent” devenir un jour des double PhD.

6 Comments
  1. Bonjour Delphine, on en apprend des choses avec toi! Et quel peps dans ta façon d’écrire! Merci de nous partager ton parcours et je te souhaite plein plein plein de courage! Biz Fabi

    1. Merci de tout coeur pour ton gentil message! Ce blog etait ma capsule bonheur ce matin. J’avais demarre la journee un peu tristounette et fatiguee! J’ai ri en le redigeant!

  2. Bonjour Delphine. Grâce à Sophie B, je reçois de tes nouvelles. Ton blog est top et permet de mieux comprendre ce qui t’arrive. Je te souhaite plein de courage et espère te voir bientôt. Caroline

    1. Coucou Caroline! Merci de tout coeur pour ton adorable message! Je m’eclate a ecrire ce blog, c’est une therapie tres efficace! Et je suis ravie que les blogs te plaisent! Ce serait trop chouette de se revoir. Nos fils vont peut etre se revoir BEAUCOUP car William est tres tente par l’ecole hotelier de Lausane. Je t’appellerai d’ailleurs pour en parler. Tout plein de kiss

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