Débilitante ou paralysante ? Les deux. Et plus encore.
Pas facile de trouver une image et un titre pour ce blog, j’aurais pu aussi l’appeler « La porte tournante de Saint-Pierre » mais la peur était bien trop intense quand je le rédigeais.
J’ai rdv avec l’onco à 11.45 et ça y est, comme à chaque jour de rdv à Saint-Pierre, une peur paralysante, une nausée épouvantable, une solitude intense coulent dans mes veines.
L’autre jour, j’ai vu dans le parking de l’hosto un petit bonhomme de 4 ans max dans la voiture de son papa. Il s’était garé juste à côté de nous. Je voyais à travers la fenêtre que ce petit garçon pleurait. Je me suis posée plein de questions « Est-ce que sa maman est à l’hôpital et il est triste ? » « Est-ce que c’est un couple divorcé et la papa doit se rendre à l’hôpital mais il n’a pas pu caser son fils ? » Je n’ai pas imaginé une seule seconde que c’était peut-être le petit garçon qui était malade.
On rentre dans l’hôpital par la porte tournante (je sais pas comment on dit en français, revolving door pour ceux qui comprennent mieux). Vous voyez ce que je veux dire, cette porte où on doit vite se glisser dedans car elle tourne sans arrêt. La même que celle du Delhaize, à part qu’au Delhaize, on est hyper content d’entrer et de tomber direct sur les fruits rouges et les fruits de la passion. Didier, lui, il a une expérience un peu différente des courses de ménage. Quand il passe la porte tournante, il se lance dans un espèce de jeu de piste à la recherche de tous les « 1 + 1 gratuit. » Sans aucun doute, de vieux gènes familiaux qui datent de la guerre. A l’hôpital Saint-Pierre, ça n’a rien à voir, la porte tournante a une charge émotionnelle tout à fait différente que celle du Delhaize.
Avant de franchir cette porte tournante, on voit tous ceux qui attendent dehors, malades ou pas malades, mais je dirais que 80 pourcent des gens sont des malades. Je le sais car ils ont un baxter. C’est un peu comme s’ils baladaient un chien, à part que c’est pas un chien mais une grande tige en métal sur roues avec un ou deux, ou même parfois trois baxters accrochés aux crochets au sommet de la tige. Je ne pense qu’en images, je n’avais jamais vraiment réalisé cela avant, mais les tubes qui vont du baxter au cathéter piqué dans leur main sont un peu comme les laisse des chiens. Dans ces 80 pourcent, la moitié se grille une clope. Vous avez jamais remarqué? J’ai toujours trouvé cela dégueu. Le baxter et la clope, perso, je trouve que c’est un peu contradictoire, mais bon… Je ne vous décris pas leur tête mais je trouve que 100 pourcent de ces 80 pourcent ont vraiment une sale gueule. J’ai jamais vu une jeune fille pimpante, ni un mec sublime avec une baxter et une clope à l’extérieur de n’importe quel hôpital. Pourquoi au fond ?
Revenons à la porte tournante. Celle de Saint-Pierre ne tourne pas aussi vite que celle du Delhaize, j’imagine qu’ils ont dû prévoir le coup de la chaise roulante ou de celui ou celle qui ballade son baxter. On est toujours à deux ou trois par compartiment mais je ne suis encore jamais tombée sur un baxter ou une chaise roulante dans le même compartiment que moi. J’allais aussi vous dire que je ne suis jamais tombée sur une personne malade dans le même compartiment mais en fait, j’en sais rien parce que la maladie ne se voit pas toujours. Regardez, si quelqu’un me voit, il ne peut pas se dire que je suis malade. Quand on se glisse dans le compartiment, y a comme une ambiance lourde. Tout le monde est hyper silencieux. C’est un peu comme si on se recueillait avant d’arriver dans un lieu saint.
Quand on sort de la porte tournante, on arrive dans un univers très particulier. On tombe rebelote sur un paquet de malades avec baxters (mais plus de clope), des vieilles personnes qui ont l’air déshydratées, des chaises roulantes, des gens qui attendent pour s’enregistrer pour passer un petit séjour à l’hôpital. Bref tout un rassemblement. Au début, je trouvais que c’était plutôt vivant, maintenant je trouve ça glauque et je DÉTESTE. En plus, y a un hasard étonnant, chaque fois que je rentre dans ce hall, y a une femme avec un foulard sur la tête qui a perdu ses sourcils et ses cils et là, je me dis « encore une qui avait un sein malade ». Comme vous le savez, la réalité frappe le matin quand je me réveille, mais la réalité refrappe aussi quand j’arrive à Saint-Pierre.
Moi qui étais tellement fan des hôpitaux au point de vouloir tomber malade pour y passer un peu de temps, me faire chouchouter et parfaire mes connaissances médicales, je me dis que je n’aurais pas dû me le dire trop (désolée pour la construction de phrase…) dans ma tête parce que merde, mon vœu a été exaucé. En fait, je rêvais d’être médecin, plus précisément chirurgien et que l’hôpital soit mon lieu de travail. Je vous en ai déjà parlé dans un autre blog.
Petite parenthèse avant de continuer. Beaucoup d’entre vous m’ont demandé où je trouvais mes idées. Je ne les cherche pas, elles viennent toutes seules. Quand je m’installe devant mon Mac, mes doigts se mettent à écrire tout seuls à une vitesse v – v’. Je suis dans une bulle et c’est comme s’il y avait un “channeling” incompréhensible entre mon cœur et mes doigts. L’école de langue et les dialectes n’ont pas été mûrement réfléchis mais ce sont mes doigts ou mon cœur (j’en sais rien) qui ont tapoté sur le clavier sans se prendre la tête sur des tournures de phrases et des jeux de mots, c’est un peu de “l’écriture automatique.” Tout ce que je peux vous dire, c’est que ça fait du bien. Je suis d’ailleurs hyper fâchée quand quelqu’un rentre dans ma bulle quand j’y suis.
Où est-ce que j’en étais ? Les baxters et les clopes, la porte tournante, le hall d’entrée, la femme au foulard. Ah oui, le petit garçon !
Quand on rentre dans le hall, il faut prendre à droite pour aller s’enregistrer, Il faut prendre un ticket (ça doit être mon centième en deux semaines, dommage qu’on ne gagne pas un prix tous les cent tickets…) et puis c’est un peu comme à la boucherie de Colruyt, on attend son tour. A part qu’on entend pas « De bestelling nummer 68 is klaar aan de beenhouwerij », mais un « cling, cling » qui me tape sur les nerfs. Le cling cling sort d’une télé où les numéros changent et nous indique à quel guichet il faut se rendre. Il faut être très attentif parce que parfois, les numéros n’ont aucun lien entre eux. Tout le monde est assis dans le même sens, un peu comme dans un avion et on attend, la tête vissée sur la télé. Y a une drôle d’ambiance. Un peu lourde, personne ne sourit.
Qui débarque ? Le petit bonhomme du parking. Il est dans les bras de son père et je vois qu’il a les deux jambes plâtrées. Il pleure encore, à mon avis, il n’a pas arrêté de pleurer entre le parking et le moment où je le revois. Il tend son bras vers la sortie de l’hôpital et dit en pleurant « Je veux pas aller au docteur, papa, on va à la maison. » Il le tendait dans la bonne direction, à mon avis il connait le chemin jusqu’à la sortie par cœur.
Didier le voit et l’entend et je vois que ça le rend malade. « Delphine, c’est juste insupportable de voir des enfants malades. » Je suis 200 pourcent d’accord avec lui. Je pense tellement si souvent qu’heureusement que ce cancer me soit tombé dessus et pas sur mes enfants. Ça aurait été insupportable. Une pensée tout spéciale pour Alexandra et son mari qui sont des modèles de courage extraordinaires.
Aux US, les pédiatres ou tout autre médecin qui voient des enfants portent des scrubs colorés avec plein de dessins dans le genre Mickey Mouse, lapins à lunette, sucettes, clowns, donuts rose fluo et je trouve que c’est fantastique. Y en a des plus fous encore qui s’accrochent un nez de clown. Je me demande s’ils font de même à Saint-Pierre parce que je n’en ai pas encore vu dans les couloirs.
Ce petit bonhomme a une peur paralysante des « docteurs » et de l’hôpital et ça le suivra probablement pendant des années. Aujourd’hui, me voilà dans le même état que lui. J’ai une peur débilitante quelques heures avant les rendez-vous.
Autant vous dire qu’il vaut mieux que ces rendez-vous soient le matin car c’est juste le petit dej qui ressort. Si c’est l’aprèm, ça pourrit ma journée. Vraiment.
Blague à part, les jours de rendez-vous à l’hôpital sont vraiment horribles. Comme le diagnostic post-op (J’ai rêvé que j’avais dans le ventre un serpent qui avait avalé un chat) avait été assez traumatisant, c’est déjà inscrit dans mes cellules. Je ne savais pas que ça pouvait aller si vite. Je l’écrivais dans un autre blog, mon verre est toujours à moitié plein. Je dirais même plein à rabord, mais depuis l’annonce du cancer, la tendance s’inverse les jours où je dois me rendre à l’hosto. Quand j’entends « tu n’entends que les mauvaises nouvelles », j’ai envie de répondre « tu n’as pas le cancer. » Je suis profondément positive mais parfois ça flanche. Je pense sincèrement qu’il faut être passé(e) par là pour comprendre pourquoi, parfois, on entend davantage les mauvaises nouvelles.
C’est la première fois que j’écris avant de partir chez le médecin et la peur se dissipe un peu en écrivant donc je pense que la stratégie du blogging avant de se rendre à Saint-Pierre est à mettre en place…
Je vous laisse, il est l’heure de partir chez l’onco. Il va falloir que je lui trouve un “petit nom” aussi, je verrai en fonction de sa tête, de ses mimiques ou de son caractère. Il faut pas que je ne pense qu’à ça pendant le rendez-vous sinon je ne serai pas concentrée. Même si on m’a dit cent fois quel(s) cancer(s) j’ai, je ne sais pas pourquoi j’arrête pas d’oublier. Je vais redemander tous les détails.
Hasta la vista, on se met en route !
Salle d’attente… Le docteur est en retard, je ne peux pas résister, il faut que j’écrive. Dans la voiture vers Saint-Pierre, j’ai fait comme si on descendait en Provence et c’est marrant, j’avais vraiment l’impression que c’était vrai. Même les bruits et les odeurs étaient les mêmes. On descend de la voiture et Did me dit “Tu t’es habillée comme pour aller à la plage”. “Non, pas la plage, mais pour faire un petit tour au marché de Gordes.”
Pour la suite, même tralala, la porte tournante, le hall d’entrée, les tickets, mais cette fois-ci, c’est quand même différent car c’est la première fois qu’on va au 5ème. Les portes de l’ascenseur s’ouvrent et là, on arrive dans un univers vraiment particulier. Je dis à Didier « Je sens que c’est l’étage des chimios. »
In fact, je confirme, on avance dans le couloir et je vois de part et d’autre des gens assis sur des fauteuils un peu inclinés avec ses perfs, juste comme dans les films. Ça me donne un cafard monstrueux “instantané”. L’histoire nous dira si je vais devoir un jour apprivoiser cet étage…
Petite pépite de la journée…
Il m’arrive assez souvent de jurer depuis l’annonce du cancer et quand je tape « bordel de merde » sur mon iPhone, le correcteur change en « Bordet** de merde. » J’ai cru que j’hallucinais ! Et je vous jure, c’est vraiment vrai, j’envoyais un message à Mathilde. Ces smartphones quand même…
** Pour les copines à Houston, Bordet est notre équivalent belge du MD Anderson Cancer Center.