Ne dites plus jamais ça

Ne dites plus jamais ça

J’étais pourtant la première à le dire. Je cherchais le petit plus (à lire en prononçant le S) un peu léger après toutes les belles leçons de ce cancer, tous ses moments riches et intenses, ses rencontres formidables, ses enseignements. Le petit plus à la con qui fait sourire et qui n’est rien à côté de l’intensité et la beauté de ce que je vis. Oui, j’ai bien dit la beauté et apparemment, on est toutes à le dire.

Le petit plus (prononcez-les tous avec S) idiot, le petit plus qui fait sourire, le petit plus qui apporte une touche légère à la gravité de la situation, le petit plus qui détend l’atmosphère, le petit plus amusant : « tu auras les seins de tes rêves » ou « j’aurai une belle petite paire de seins tout mignons. »

Il n’en est rien. J’aimais l’entendre des copines les plus amusantes parce que l’humour et la dérision sont vraiment importants, mais il faut arrêter de dire cela. Pour toujours. J’ai été tellement légère dans les deux blogs « Seins en silicone ou reconstruction par lambeau, faites votre choix ! » et « Docteur 160 grammes » sauf dans le passage des mains et des regards dans Docteur 160 grammes. C’était si amusant pour contrebalancer les moments les plus lourds mais la reconstruction n’est pas un sujet léger. Vraiment pas.

Quand on avance dans le combat, on n’a pas trop le temps de se poser des questions sur sa féminité, sa sexualité, ce n’est pas à l’ordre du jour quand tout va si vite. On est entre les mains des onco/chirurgien gynéco et le but premier est d’éradiquer la maladie au plus vite et le mieux qu’il soit. D’ailleurs, à Saint-Pierre, on parle à peine de reconstruction et je comprends mieux pourquoi maintenant. Tout va vite, et spécialement dans mon cas, car la tumeur était agressive. L’annonce du cancer, une tumorectomie, une mastectomie, tout en 4 semaines jour pour jour. Pas le temps de dire au revoir, pas le temps de faire le deuil de quoi que ce soit entre les coups, vraiment pas le temps. On se prend une anesthésie, on se relève, on se reprend une deuxième anesthésie et on se relève. Parce qu’on se relève toujours. L’amour de la vie, l’amour de ma famille, tous mes amis, vous tous, mon blog, mes projets de livre, tout me donne une pêche d’enfer. Vous ne vous imaginez pas à quel point vous m’aidez tous les jours depuis le début. Ce cancer me donne envie de vivre encore plus, plus intensément. Didier ouvre de grands yeux quand je lui dis que je passe le plus bel été de ma vie ou que le cancer est une bénédiction, mais c’est vraiment vrai. N’est-ce finalement pas des plus grosses merdes de la vie qu’on ressort plus grand, plus fort ? Cul-cul la praline peut-être, mais tellement vrai.

Le prix est cher à payer mais peut-être qu’il était temps d’envisager les choses autrement. Le petit bulldozer qui menait 2 blogs à la fois, lançait le Happy Spoon program, avait des consultes à Uccle et Hoeilaart, donnait des conférences aux US, des démos de cuisine dans les écoles défavorisées de NY et de Houston et se lançait avec amour et passion dans la construction de sites web et la photo de bouffe n’avait pas beaucoup de temps de repos et de moments calmes. C’était électrique, c’était fou, c’était magique mais était-ce trop ? On se saura jamais ce qui s’est passé, ni même si le cancer apporte un message. J’essaie de ne pas tomber dans la culpabilité, je n’ai pas envie de vous faire l’étalage de tous mes regrets qui me passent parfois par la tête car ils ne servent à rien. Que du contraire, je les accueille comme des opportunités de changer les choses qui clochaient. On a tous au fond de nous des choses qui clochent, qui bloquent, qui blessent, qui chipotent, des petites boules qu’on aimerait faire disparaître mais qui, par manque de temps, par manque de je ne sais quoi, restent là.

Je dévie, je dévie, désolée pour la construction foireuse de ce blog, si peu digne de mon éducation classique, mais on s’en fout. Le but de celui-ci était de parler de l’impact psychologique de la mastectomie et de la reconstruction mammaire, et de la rencontre d’une personne qui a eu l’honnêteté et la grande sensibilité de dire les choses autrement. C’était le troisième chir plastique après Docteur « Je maîtrise toutes les techniques » et Docteur « 160 grammes », je lui cherche encore un nom mais comme je n’ai pas l’humeur à rire, ça ne vient pas.

Je vous passe les détails et les descriptions amusantes du magnifique cabinet/mobilier/moulures/marbre/plafonnier comme dans les autres blogs sur les plasticiens, ce n’est pas le propos, ni le ton du jour. Cette fois-ci, c’est la personne qui était magnifique, une très très belle personne à qui je donne la première place sur la liste des plasticiens qui circule entre les copines-cancer.

La consulte a commencé avec quelques questions médicales, historique médical et explication du cancer. Je lui ai communiqué mes expériences avec les deux autres plasticiens et je me suis déshabillée. Je ne vais pas trop me concentrer sur tous les aspects techniques même si je sais que c’est vraiment intéressant pour celles qui passeront par là. Celles-là peuvent m’appeler au 0473 93 42 78.

Le ton était plutôt sympathique, je n’ai aucunement partagé mes questionnements sur ma féminité parce qu’en fait, tout était confus. Les autres rendez-vous avaient été plutôt techniques et sans émotions, je ne sais pas pourquoi je suis arrivée en mode « Je crâne un peu et on parle juste de seins » même si au fond de moi, je rêvais qu’un plasticien parle le langage des émotions, un peu comme l’équipe de Saint-Pierre.

Je suis restée debout devant lui pendant 10 minutes, nous avons beaucoup parlé d’options possibles et de techniques mais malheureusement elles sont très limitées pour moi, très très limitées de par ma mini-corpulence. Il n’a peut-être pas senti la suite comme moi et peut-être qu’il était plutôt préoccupé par l’aspect technique des choses mais j’ai vu en lui quelque chose de tout à fait différent. Je n’étais plus seulement une personne à qui on va reconstruire les seins, mais j’étais aussi une femme qui a le cancer qu’on écoute et qu’on prend par la main. Il avait l’air ennuyé, ou je dois plutôt dire qu’il avait l’air embêté de ne pas pouvoir m’offrir une multitude de techniques possibles. Il faut savoir que la plupart des chirs rencontrés, comme moi d’ailleurs, préfèrent la reconstruction avec ses propres tissus. J’ai apprécié les moments de silence où il regardait, observait, touchait, me faisait tourner sur moi-même, j’ai apprécié qu’il se concentrait le mieux qu’il soit pour m’aider à me sentir belle au bout du combat. Le silence était rempli d’émotions mais je n’en ai pas parlé, je sentais que ça me montait dans la gorge.

Il a ensuite montré un power point avec beaucoup de reconstructions qu’il a faites, des belles, des moins belles (il a fait ce qu’il a pu avec ce qu’il a reçu), des plus marquées, des moins marquées, des femmes très fortes qui sortent gagnantes, d’autres moins, beaucoup moins. Moi, je voyais de la beauté et son amour du métier mais je voyais aussi des femmes mutilées et tant de souffrance dans toutes ces cicatrices. Plus le power point défilait, plus je sentais que la souffrance montait, la désillusion, le deuil, la féminité abîmée, la sexualité qui ne sera plus jamais pareille, la fin d’une certaine insouciance, les souvenirs de la maladie chaque fois que je me déshabillerai jusqu’à mon dernier souffle. Je vous disais hier que je trouvais qu’il y avait beaucoup de beauté dans les cicatrices, qu’elles sont le magnifique symbole du combat et de la victoire. Aujourd’hui, mon cœur vacillait entre la beauté et la souffrance que dégageaient ces cicatrices, cette mutilation.

Il a été honnête et courageux, vraiment. Il a dit les choses comme elles sont avec toutes ses vérités et réalités physiques sans prendre de pincettes, mais avec beaucoup de sensibilité. Beaucoup de sensibilité. J’aurais dû ouvrir mon cœur, d’ailleurs il a ouvert des portes mentionnant le deuil à faire, ce fameux deuil à faire, mais je continuais à crâner, c’est trop con. « Vous arriverez quand même à faire quelque chose de mignon ? » au lieu de craquer et de dire que c’était bouleversant pour moi de voir pour la première fois toutes ces reconstructions. C’était vraiment trash. C’était beau de voir toutes ces femmes qui avaient lutté et qui avaient récupéré une féminité « physique » mais on ne sait pas ce qui se passe dans leur tête. C’était beau, c’était terriblement émouvant mais je n’ai rien dit, pas un mot. J’ai senti que c’est un passionné, il l’a dit d’ailleurs, et il fera le mieux qu’il peut si nous travaillons ensemble. Enfin, si on mène le combat de la reconstruction ensemble.

Sur sa présentation, il y avait aussi une adorable mannequin, mini format juste comme moi. Elle était torse nu avec un petit jeans juste comme on aime. Apparemment elle avait décidé de ne pas reconstruire ou pas encore. Il lui restait un tout petit sein et un sein mutilé. Quel est le chirurgien plastique qui demanderait à sa patiente ce que dégage une photo pareille ? Et bien lui ! Lui l’a demandé. Parce que c’est aussi une option. Cette photo était si émouvante, cette femme était splendide, je sentais que ça montait de plus en plus, cette photo m’a émue par sa beauté, et par la vulnérabilité, la force et la féminité que cette femme dégageait. Ma petite voix a recommencé et j’ai caressé l’idée d’éventuellement rester (un moment ou pour toujours) comme je suis maintenant, fermement décidée à me sentir plus belle que jamais et fière de ma cicatrice.

Je vais clore le blog. Il m’a raccompagnée à la porte. De nouveau quel médecin fait ça, ce sont les petites choses qui font toute la différence. Je lui ai quand même dit « Quelle aventure, il va falloir que je travaille sur ma féminité » ou quelque chose dans le genre, au lieu de le remercier et de lui faire part de toutes les émotions qui allaient exploser en sortant de son cabinet. Il a clôturé en disant que je serai toujours belle. J’ai passé le seuil de la porte et je me suis écroulée dans ma bagnole sans bouger pendant 15 minutes. J’ai remis le couvert 30 minutes plus tard sur le fauteuil du dentiste qui s’est avéré être le pote du chirurgien, j’ai vu ça comme un signe.

Ne dites plus jamais à une femme « mastectomisée » qu’elle pourra enfin avoir la paire de seins de ses rêves, même si les intentions sont tellement adorables et touchantes, car la reconstruction (ou non) n’est pas un combat léger. Jusqu’à présent, j’ai trouvé que le cancer (la maladie) est « a walk in the park » à côté de l’impact psychologique de la mastectomie et de la reconstruction. Tous les plasticiens devraient avoir un diplôme de psycho, celui-ci est à bonne école car sa femme est psychiatre. Merci à lui pour ce rendez-vous qui m’a permis de comprendre qu’il ne fallait pas brûler les étapes et faire plein de petits deuils au fur et à mesure. J’allais trop vite… peut-être pour ne pas sentir. Quand il a enlevé mon pansement, j’ai baissé les yeux sur ma cicatrice mais j’ai évité de me regarder dans le grand miroir qui était juste à côté de moi. Je vais dès à présent passer du temps devant mon miroir pour apprivoiser ce nouveau corps mutilé mais symbolique de ma force et de mon courage.

Passez une excellente journée ! Coucouche panier pour moi avant de me rendre à Saint-Pierre pour un nouveau diagnostic post-op mais même pas peur, on grandit si vite en si peu de temps…

6 Comments
  1. Merci chere Delphine pour ton “post” d’aujourd’hui. Tu me fais grandir avec toi; tu me donnes une lecon d’humanite, une lecon de vie. Je t’envoie plein de pensees positives. Kissssssssss. Sandy

  2. Très émouvant de te lire chère Delphine… je ne t ai plus vue depuis trop longtemps mais je te serre dans mes bras. Ce dont je suis sûre c’est que nous avons une force insoupçonnable en nous! Et tu en es la preuve…Plein de kiss Marina

    1. Merci ma chere Marina. Quelle adorable message! J’accepte le gros hug de ta part! Nous sommes voisines mais nous ne nous croisons jamais! Et oui, tu as raison, on a des forces insoupconnables en nous! Oufff! J’en ai bien besoin pendant la chimio, dis donc, c’est pas facile du tout! Tout plein de kiss et j’espere te revoir bientot!

  3. Oupsssss … rempli d emotions et de transparence.
    Je suis à tes côtés en pensée avec force
    Je t embrasse bien fort
    Isabelle Annez

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