Cher Cancer…

Cher Cancer…

Préambule : L’ensemble de mon blog, et celui-ci en particulier, est le reflet de mon histoire personnelle. Je réalise très bien que j’ai beaucoup de chance que le processus se passe si bien. Je suis bien consciente aussi qu’il n’en a pas été de même pour toutes celles qui sont passées par là. J’ai une pensée très émue pour ces femmes-là. Ce blog ne nie en rien les réalités difficiles que représente le chemin vers la guérison espérée ; il n’est que le témoignage de mon expérience propre.

Cher Cancer,

En réponse à ta missive du 17 décembre, je tenais à t’adresser ces quelques mots et à te partager mon expérience de la dernière chimio que j’ai reçue vendredi dernier, le 20 décembre. C’est une date que je n’oublierai jamais. Il y aura encore des étapes importantes, notamment celle du 14 février. Il parait que terminer ses rayons le jour de la Saint-Valentin est de bon augure ! Ce jour-là, je passerai le seuil de la fameuse porte tournante pour la dernière fois avant des mois. Je ne manquerai pas de te partager mes émotions du jour, probablement même en rentrant de l’hôpital, car ce sera une étape plus importante que la fin de la chimio. Enfin, je pense… C’est étonnant, je peux déjà ressentir le besoin que j’aurai de t’écrire alors que ce ne sera que dans deux mois. Et je t’enverrai également quelques lignes pendant l’hormonothérapie. Je veux continuer à te partager ce que j’ai au plus profond de moi-même.

Je ne sais pas très bien par où je vais commencer, mais je vais laisser parler mon cœur et laisser mes doigts pianoter sur mon clavier sans structure précise. D’habitude, j’ai une vague idée d’où je vais, mais cette fois-ci, j’aimerais faire de l’écriture automatique, on verra où mon cœur nous fera voyager. J’aimerais aussi créer une ambiance agréable comme si nous avions une conversation tous les deux dans un endroit feutré, un peu sombre, avec plein de bougies qui scintillent et une toile de fond musicale apaisante. Je choisirais certaines Nocturnes de Chopin et le Requiem de Fauré*.

Tu es entré dans ma vie le 11 juin à 10.05, cela fait donc 7 mois et 13 jours que nous faisons route ensemble. Comme dans toute relation, il y a eu des hauts et des bas. Je t’ai accepté dès le premier jour malgré le chaos émotionnel que tu as provoqué dans ma vie, et dans la vie de mes proches dont je m’étais fait un point d’honneur d’épargner un maximum. Je parle ici d’Alexandre, William et Didier. Je voulais que l’ambiance familiale ne soit pas affectée par mes doutes, mes questionnements, mes craintes et ma colère. Je voulais juste partager mes moments de joie et ne jamais inquiéter les enfants. Je ne voulais aucunement que le cancer soit le sujet de conversation des repas familiaux. Il est vrai qu’ils ont vu que j’étais explosée de fatigue les deux premiers mois, mais j’étais finalement plus présente car j’installais souvent mon petit matelas juste à côté de William qui étudiait et je restais en silence, les yeux fermés. C’était si bon…. Idem quand ils regardaient un bon film le soir. Et puis, j’avais mes petits moments magiques tous les matins (sauf les deux premiers mois de chimio) avec mon deuxième mug de café, adossée au meuble de salle de bain pendant que Didier prenait son bain. Petits moments où nous faisons le topo et partageons des informations pratiques, mais surtout les émotions du moment.

Très vite après l’annonce du cancer et grâce à la magie de la toile, je fus entourée de tant de personnes bienveillantes qui ont connu les mêmes épreuves. Cette entraide féminine est juste extraordinaire. C’était comme si je rentrais dans un clan. Le clan des fighteuses, des cancer survivors, des superwomen qui étaient là 24/7 pour répondre à toutes mes questions et me soutenir par un petit mot, une image, un emoji, un appel, une présence. Et puis, encore grâce à la magie de la toile, se sont joints des dizaines de ‘supporters’, j’ai senti des centaines de mains qui me portaient.

Mais… j’ai aussi vite senti que j’avais besoin de trouver UNE personne avec qui je pourrais tout partager et qui ferait route avec moi, et si cette personne était passée par là, c’eût été un vrai bonus. Tu le sais, j’ai reçu des dizaines de contacts. « Cette personne-là a sauvé mon père ou ma mère ou mon enfant ou ma meilleure amie… tu dois absolument appeler cette personne… celui-là est THE acupuncteur… cet énergéticien va te sauver la vie. » Des dizaines de contacts de « sauveurs. » Comment allais-je choisir ? J’ai décidé de me fier à mon instinct. J’ai choisi un acupuncteur et une réflexologue conseillés par Marie, et j’ai fait confiance à Vanessa : « Appelle Xavier, il fait du Reiki, c’est une très belle personne. » J’ai honte de dire que je ne savais même pas ce qu’était le Reiki alors que je suis plutôt versée dans toutes les médecines parallèles. Tu as suivi le récit, tu as lu tous les blogs, tu sais dès à présent que Xavier a été ce compagnon de route extraordinaire envers qui j’ai une gratitude incommensurable.

Ce n’est pas le ‘boulot’ de la famille proche, ni des amies proches de s’encombrer de tous mes petits paquets de souffrance, de peur, de doute ou de colère mais, pour moi, c’est le boulot d’une personne extérieure dont c’est le métier. Il y a une relation saine où tout est clair, je suis là pour déposer mes petits paquets et je n’ai pas cette peur d’encombrer l’autre. Xavier m’a apporté une écoute bienveillante et sans jugement, une énergie apaisante et guérisseuse, un autre regard sur la vie, ma vie, l’expérience unique de l’accueil de tout sans rien nier, tant de douceur, de poésie et de sagesse. Toutes les semaines, j’arrivais chargée comme un baudet comme si j’allais faire un voyage au bout du monde et je quittais chaque session allégée, mais je dois avouer aussi légèrement triste et anxieuse de quitter ce petit cocon de sécurité qui s’était créé pendant les deux heures passées ensemble. Heureusement, l’anxiété et la tristesse disparaissaient le soir ou le lendemain matin.

J’ai écrit plus haut « comme si j’allais faire un voyage au bout du monde », mais en réalité, j’ai fait un voyage extraordinaire et je me réjouis de te le raconter. Pas d’avion cette fois-ci, mais j’ai décidé de naviguer à bord d’un petit voilier avec une belle coque bleu nuit et de grandes voiles blanches. J’ai traversé plusieurs mers et océans, tantôt chauds, tantôt froids, tantôt calmes, tantôt houleux, tantôt accueillants, tantôt hostiles. C’était magnifique. J’ai pleinement profité de la beauté de ces étendues bleues à l’infini et du va-et-vient de la houle. Toutes ces nuances de bleu, c’était extraordinaire, ça me rappelait ma palette de peintre. J’ai toujours un peu galéré avec les bleus. Certains étaient transparents et se mélangeaient difficilement aux autres couleurs, d’autres était plus « onctueux ». J’adorais ces derniers car c’était comme si j’étalais une crème toute douce sur mes toiles en fils de lin, chanvre ou coton. Ce voyage en mer m’a permis de m’émerveiller de cette palette infinie de bleus. C’était magique. L’indigo, le marine, le bleu nuit, le bleu roi, le Majorelle, le Klein, le cyan, le cobalt, le pastel et le turquoise. Ah ce turquoise si transparent. Je voyais les fonds marins, c’était d’une splendeur indescriptible.

Et puis cette houle, je pourrais t’en parler des heures. Ses ondulations, ses creux, ses montées, ses rythmes, ses balancements, ses secousses, sa monotonie parfois, sa puissance, sa menace, son apaisement, son agitation. Cette houle qui s’enflait par moments, donnait son coup d’épaule, me soulevait et me laissait retomber, pas toujours doucement.

Quand la mer s’agitait, j’étais en colère ; quand elle était menaçante, j’avais peur ; quand on tanguait, j’étais malade, mais j’ai toujours eu confiance, je ne me sentais pas seule, je sentais des dizaines de petits mains qui m’aidaient à naviguer et Didier n’était jamais bien loin. Mais j’ai navigué seule la plupart du temps. Xavier apparaissait parfois à la barre et puis il disparaissait. Il m’a aussi aidée à écoper quand les lames giclaient et que j’avais les pieds trempés, et puis il disparaissait à nouveau. Je savais que je pouvais toujours compter sur quelqu’un s’il y avait un problème. Quelle splendide voyage que je décrirai encore plus bas dans cette lettre.

J’ai toujours adoré l’eau, elle m’apaise, elle me fait voyager, elle me fait rêver, elle me vivifie et parfois elle me rend mélancolique. Éric, l’acupuncteur, m’a dit dès le premier jour, et même dès les premières minutes, qu’il me manquait beaucoup de yin et il m’a installée dans la chambre de son fils qui donnait sur une petite fontaine, j’étais bercée par son murmure apaisant, c’était divin. C’est étonnant comme les choses se mettent bien dans la vie. Avant l’annonce du cancer, nous avons acheté une maison avec deux points d’eau. Elle n’a absolument rien de glamour mais les points d’eau étaient « justes », mon corps a tout de suite senti que c’était là que je devais vivre. Aujourd’hui, je peux dire que c’est là que je devais poser mes valises après mon long voyage. J’anticipe déjà mes petits cafés tous les matins, quand le temps sera clément, devant le bassin rectangulaire très japonisant rempli de superbes nénuphars. On a viré le carrelage existant pour le remplacer par un joli plancher en chêne clair donc il n’y aura plus ma dalle chaude mais je me trouverai une nouvelle petite place devant le bassin. Et en hiver, je collerai mon dos contre le grand radiateur de la cuisine. Il m’est si bon de t’écrire, tu me permets de mettre des mots sur tous ces petits moments de joie et de les anticiper encore davantage. Merci pour cela.

Tu avais bien entendu et tu l’as mentionné dans ta lettre du 17 décembre : tu as été et est toujours une bénédiction dans ma vie. Tu m’as ouvert les yeux sur une multitude de fonctionnements que je n’aurais peut-être jamais compris si tu n’avais pas fait un petit passage dans mon corps et pour cela, je te remercie. En fait, je les avais compris « mentalement » mais il a fallu un détonateur physique pour que je mette en place les changements dont j’avais tant besoin. Arrêter d’être si dure avec moi-même, plus de douceur et d’écoute de ce dont j’ai besoin, arrêter cette spirale infernale de boulot où la joie et l’alignement n’étaient plus toujours au rendez-vous, connaître et mettre mes limites et savoir dire non. Ce « non » que je redoutais tant. Je pense que c’est l’enseignement le plus important. Non aux autres ET non à moi-même. Je te suis très reconnaissante. J’ai encore du chemin à faire mais tu m’as permis de mettre en place de bonnes bases sur lesquelles je vais continuer à bâtir. Je ne suis pas seule, Xavier sera encore là pour m’aider quand je m’égarerai.

Alors, ce que je vais t’écrire risque de choquer plusieurs lecteurs parce que je compte publier cette lettre, mais je t’aurais bien gardé à mes côtés encore un peu plus longtemps, encore quelques mois peut-être. Il faut dire que tu m’as fait un beau cadeau, tu m’as épargnée de quasi tout symptôme pendant la série des Taxols, donc j’ai pu profiter de ce beau voyage sans être incommodée physiquement. Rien à voir avec les premières chimios qui étaient si dures physiquement et psychiquement, même si je ne les regrette absolument pas. Je ne regrette pas un instant de ces deux mois parfois pénibles et interminables. La fatigue était intense, les nausées me clouaient au lit ou au canapé une semaine sur deux, mon corps était si frêle et fragile, mais ces journées terriblement éprouvantes avaient quelque chose de beau, j’ai fait l’expérience du calme. Du rien. Du vraiment rien. Et puis aussi, les quelques jours de répit que tu me laissais me permettaient d’apprécier davantage toutes les petites et grandes joies, c’était particulier. Toutes les sensations et émotions étaient à vif et décuplées. J’ai goûté à la grande fragilité de la vie et à son extrême beauté. Pour cela, merci. Merci aussi de m’avoir épargné du « chemo brain » qui peut rendre la pensée confuse et l’écriture impossible. Il n’en a rien été, j’ai pu continuer à partager sur la toile ce que je vivais. Le contraire aurait été une réelle souffrance que j’aurais dû accueillir certes, mais j’aurais eu beaucoup de mal car écrire était devenu vital, comme me nourrir ou respirer. J’ai pu profiter pleinement de la joie immense de l’écriture et continuer à partager car je ne voulais pas voir grand monde, ni répondre au téléphone. Je voulais me reposer, je voulais être seule, seule avec moi-même et savourer ce rien, ce silence paisible malgré l’inconfort physique et les émotions parfois chaotiques.

« La solitude est une tempête de silence qui arrache toutes nos branches mortes. Pourtant, elle implante nos racines dans les profondeurs du cœur vivant de la terre vivante. » Khalil Gibran que j’aime tant…

Trêve de digressions, revenons à ce que je voulais te partager, la chimio de vendredi. La dernière chimio. Je la redoutais tant. Ça faisait deux jours que j’avais un énorme pincement au cœur. Les larmes remontent rien que de l’écrire. C’était dur, très dur. Ça faisait déjà longtemps que je ressentais au plus profond de moi-même le manque/le vide/le trou/le creux que ce départ allait laisser. J’avais si peur de ce vide de l’après. Je ne voulais pas que ça s’arrête pour ne pas ressentir une dernière étape. Et pourtant je sais combien le vide laisse place à une infinité de possibilités, combien il est « plein » et à l’origine de tout. Xavier avait si joliment comparé ce vide à un océan tout calme, un océan à l’infini, à perte de vue ou toutes les directions, toutes les routes sont possibles.

Le 5ème étage à St Pierre est devenu ma terre d’accueil, un environnement que j’aime et où règnent amour et bienveillance. Mais pas que cela, c’est indescriptible et il faut y avoir passé du temps pour vraiment le comprendre et le ressentir. J’ai envie de l’imaginer comme un port, rien que pour l’histoire. C’était mon petit cocon paisible où on m’administrait, avec tant de douceur, des produits qui me sauvaient. Les infirmières étaient devenues ma deuxième famille si bien qu’elles me manquaient même entre les séances. On s’attache si vite. Le côté positif, c’est que j’aspirais toujours au vendredi suivant. Et rebelote la boule dans la gorge, il n’y aura plus de vendredi suivant. Et pourtant tu sais combien j’ai détesté cet étage, je l’ai haï jusqu’à ce que Xavier fasse une séance de Reiki à distance et m’envoie toute l’énergie apaisante de l’Univers qui a eu le pouvoir de désinscrire à jamais toutes les informations traumatisantes qui avaient marqué au fer rouge chacune de mes cellules. D’une terre hostile, cet étage est devenu une terre si accueillante où je m’offrais chaque fois une petite journée à moi, une petite journée pour moi.

J’ai fait des rencontres formidables, je me suis fait des amies pour la vie et j’ai eu des visites que je n’oublierai jamais. J’ai aussi savouré les moments de silence dans ma petite chambre peinte en mauve pastel. Docteur Zen était d’une grande disponibilité et me témoignait beaucoup de gentillesse, toujours à l’écoute pour m’administrer les meilleures doses. Je me souviens comme si c’était hier qu’il m’avait dit que le 5ème était un étage magique où règnent une force de vie, une envie de se battre, la résilience et la joie de vivre. J’avais retenu chacun de ses mots. Il ne pouvait pas mieux décrire son univers, l’univers dont j’allais faire partie pendant 5 mois.

Je m’écarte à chaque fois du partage de mon ressenti de vendredi dernier… J’ai été sauvée deux fois ce jour-là. Sauvée ? Oui sauvée des larmes. Il était pourtant très important de les accueillir mais je ne voulais pas non plus être une madeleine toute la journée. Premièrement sauvée par un coup de fil de Mike pendant tout le trajet vers l’hôpital. Une conversation émouvante et un partage de nos expériences de l’épreuve et comment celle-ci nous tend les bras vers une vie meilleure, plus juste, plus centrée où l’expérience de la joie est décuplée. On s’est dit qu’on avait beaucoup de chance…

Enregistrement comme d’habitude au rez-de-chaussée.
« Je viens pour ma dernière chimio ». Pleurs… Respirer.
Enregistrement au 5ème. « Bonjour, je viens pour ma dernière chimio ».
« Bonjour Madame Remy, quelle fête, c’est bientôt fini ! » J’ai affiché un sourire mais si elle savait comme mon cœur pleurait… Les larmes sont montées mais j’ai foncé vers la chambre après l’avoir remerciée de m’avoir à nouveau prévu une petite chambre seule.

J’ai refait tous les mêmes gestes mais ils avaient une autre saveur. Je me demande si je ne déteste pas toujours « les dernières fois », il faudrait que je réfléchisse à d’autres exemples. En tous cas, je déteste les au revoir. Tous ces petits gestes comme si je m’installais à chaque fois pour quelques jours à l’hôtel. J’adore ça ! Déballer mon sac, sortir mon ordi et mes lectures, allumer les radiateurs à fond, aller chercher deux couvertures et un oreiller en plus (je connaissais la cachette), jouer avec les boutons du lit pour trouver la position la plus agréable, sortir mes deux euros pour mon premier café et en profiter pour aller saluer toutes les infirmières et leur déposer mon petit cadeau hebdomadaire, croiser Zen dans les couloirs et tailler une mini bavette. J’adore les rituels, j’adore la routine qui rassure. Ce matin-là, c’était diffèrent, chaque petit mouvement me rappelait que c’était la fin de ce petit cocon et que j’allais devoir dire au revoir à toutes ces personnes qui avaient participé à ma guérison. Je peux les revoir ? Je t’entends me le dire. Moi je te réponds d’emblée que ce ne sera plus jamais pareil.  Elles prenaient soin de moi comme personne n’a jamais pris soin de moi, et moi la première. Un petit mot sur Didier néanmoins…

C’est peut-être un peu bizarre à dire mais Didier a adoré les premières chimios car il pouvait me materner. Enfin devrais-je dire, paterner ? Il me disait qu’il adorait me sentir toute petite, toute frêle et malade pour pouvoir s’occuper de moi. Je pense qu’il a réellement découvert une face cachée en lui. Je regrette un peu ce temps-là… la vie a repris son cours pendant la série des Taxols avec les réunions de chantier à gogo et tout le reste. Je dois quand même dire qu’il est devenu l’homme-orchestre à la maison et c’est déjà énorme comme aide !

Je m’écarte encore et encore du vécu de cette dernière chimio, c’est à croire que je préfère éviter le sujet et te faire part de toutes ces petites joies hebdomadaires. Tout mon rituel avait engendré beaucoup de larmes. Xavier m’avait dit le premier jour que les larmes sont comme des perles… c’était magnifique… j’en ai enfilé depuis 7 mois, j’ai fait de splendides rivières dont la nacre reflète et réfracte toutes les couleurs de l’arc-en-ciel.

Deuxième sauvetage. L’arrivée de Sabine et Géraldine dans ma chambre. Géraldine avait de jolies jacinthes pour moi, elle savait que c’était ma dernière chimio. Très émouvant. Je vous passe tous les détails à part qu’on était si bien , toutes les trois installées sur le lit comme 3 petits chats dans le même panier. J’ai adoré ce moment. Docteur Zen nous a rejointes, pas dans le lit 😉, mais juste à côté. J’ai apprécié d’avoir eu le temps de lui dire ce que j’avais aimé chez lui pendant le traitement. La gentillesse, l’écoute et aussi, cette manière claire et nette de partager ses décisions quant au traitement. Pas de longues phrases, pas de détours inutiles, un regard bienveillant, cela permet d’avoir une totale confiance. Je me souviens de l’avoir challengé pour l’hormono ; un regard et une phrase étaient suffisants que pour que je ne remette pas en doute son avis. J’aime bien quand les personnes et les choses sont claires.

Didier et William nous ont rejointes pour le déjeuner. Qu’est-ce que j’étais contente de les voir, qu’ils découvrent enfin mon univers et surtout qu’ils quittent cet hôpital avec moi. Je ne voulais absolument pas repartir toute seule. Il y a eu les au revoir, les cadeaux, le vin pour Docteur Zen, les hugs aux nurses et beaucoup de sourires chaleureux, les larmes avaient disparu du paysage. Un hug spécial pour Sabine qui commence la série des 12 Taxols en janvier, je me réjouis de venir la voir… et d’encore profiter du 5ème !

Cancer, je tenais aussi à te remercier d’avoir permis que mon plus grand rêve se réalise, celui d’écrire un livre. C’est pas magique ça ? Tu le sais, j’avais déjà travaillé sur deux scripts mais celui-ci est tellement plus « juste », un livre que j’ai écrit bout à bout avec mon cœur. Rien que mon cœur. Même si j’ai un petit pincement ces jours-ci, la perspective de 2020 m’enchante, j’ai la chance de pouvoir m’accorder tout le temps dont j’ai besoin pour continuer à écrire et aussi retravailler tous mes textes. Je sais que ça n’a rien à voir avec l’écriture spontanée, mais ça me permettra de prendre du recul et d’apprécier la chemin parcouru. Ce voyage en mer, ses péripéties, ses joies et ses difficultés. Ça me permettra de me les remémorer et peut-être même de leur donner d’autres mots.

J’ai déjà retravaillé quelques textes et c’est étonnant car j’avais envie de tout changer, de tout embellir et de dire que tout est passé comme une lettre à la poste, mais il faut que je respecte le vécu du moment dans chaque texte. La difficulté de perdre ses cheveux, la difficulté de la mastectomie, les nausées, les doutes, les questionnements sur la féminité, la colère, … écrire après-coup que rien n’était si terrible ne respecterait pas la vraie histoire, celle du vécu et du partage de chaque émotion à un moment précis pendant la grande traversée. Le corps, le mental et le cœur sont étonnants. Ils oublient et ne prennent que le meilleur. La résilience. La beauté de la résilience. La perspective. L’angle. L’interprétation du vécu. Les filtres.

Puisque je te parle de filtres… Les filtres quand je verrai tous les jours ma mastectomie, cette double cicatrice. Celle sous le bras et l’autre qui me traverse le torse. C’est beau mais c’est violent à la fois, c’est l’empreinte de la maladie qui me colle à la peau et qui à chaque fois pourrait me dire « Je ne t’ai pas épargnée, moi foutu cancer. Fais gaffe aux récidives car je suis coriace » ou alors « Nous avons fait un si beau voyage, je suis heureux que tu aies pleinement profité de toutes les expériences que je t’ai fait vivre, cette cicatrice fait partie de ton histoire, accueille-la. Vis, ressens, n’aie pas peur, elle te rappellera ces mers que nous avons traversées, tous ces bleus intenses et profonds, ces dauphins que tu aimais tant qui nous ont montré le chemin tout au long du voyage. Toutes ces sirènes, ces pétrels et ces goélands, ces couchers de soleil vermeils qui t’émerveillaient et te faisaient verser quelques larmes. Ces embruns sur ton visage, cette houle mélodieuse et puis le calme des mers d’huile que tu savourais parce qu’il te rassurait. Cette cicatrice te rappellera aussi toutes ces personnes à tes côtés. Donne-toi le temps de l’apprivoiser, il n’y a rien qui presse. Et puis, j’ai entendu une voix douce qui t’a un jour dit que ta cicatrice était comme le trait d’une plume. Quelle poésie et quelle beauté. »

Cette plume qui rédige mon histoire, l’histoire de ma grande traversée en mer, l’histoire de mon cancer…

Je pourrais encore continuer des heures, j’aime t’écrire et je t’écrirai encore. Même si tu m’auras quittée le 14 février, je sais que tu vas encore m’aider à élargir en moi le sentiment de la vie**, cette vie si précieuse qui nous est donnée une fois, une seule fois.

Je ne suis pas partie en guerre contre toi, j’ai décidé de t’apprivoiser dès le premier jour et d’affronter toutes les batailles que tu m’as envoyées, ressortant victorieuse, apaisée et plus vraie de chacune d’elles. Pour cela, merci du fond du cœur.

Delphine

Je vous souhaite d’excellentes fêtes de fin d’année et je vous retrouve pour de nouvelles aventures en 2020. La traversée n’est pas encore finie… Étapes suivantes : marquage pour les rayons le 20 janvier et rayons du 27 janvier au 14 février.

* Pie Jesu de Fauré

Et tant que j’y suis, je vous en partage d’autres qui me font vibrer…

Lascia ch’io pianga de Händel

Laudate Dominum de Mozart

** Christian Bobin à la Grande Librairie du 4 décembre 2019

Crédit Photo de la bannière : Amélie de Wilde

3 Comments
  1. Merci Delphine pour ton courage et ta plume que tu as laissée flotter au gré de tes ressentis,.. j ai des perles plein les yeux en ce jour de Noël mais elles me donnent chaud et c est agréable !
    Tu me combles d une joie intense, ton témoignage me fait du bien et je te souhaite à toi et ton compagnon rencontré en juin de faire toujours bonne route!
    Que 2020 soit un nouveau chemin pour toi ! Gros bisous 😘
    Cendrine

  2. Je te souhaite de très joyeuses fêtes et une année 2020 passionnante et heureuse ! Merci encore pour ces beaux textes solaires et touchants que j’adore. 😉😘

  3. je t’admire ma chère Delphine pour ton courage ton positivisme tes écritures ta joie de vivre ton sourire ta force tes yeux bleus ton rire et encore tellement d’autres choses… 💥💥 en cette fin d’année nous tenons spécialement à te souhaiter à toi et à ta famille all the best pour 2020’ ❤️ tu as déjà réussi à vaincre tellement d’étapes de ce foutu cancer que cette dernière manche ça va aller comme un rien💪🏿💪🏿 Merry X Mass🌲⛄️🎅🏾✨ en famille ma cherie et surtout un happy happy BD🔥🎂 à ton Willy adoré fêtez le bien car il le mérite tellement kiss kiss kiss 💋💋 de nous tous💕

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