Allez, allez bilou, on sourit pour la photo 😉
A vrai dire plusieurs titres étaient envisageables. “Les affres du pessimisme” était pas mal aussi ou “Comment sortir d’une spirale négative ?” ou encore “L’éloge de la plainte”. Vous avez compris que ce blog ne s’annonce pas jojo mais je ressens un besoin incompressible de partager ce nuage pesant et sombre qui plane au-dessus de ma tête depuis fin octobre.
Vous êtes-vous déjà retrouvé happé dans une spirale négative dont vous n’arrivez pas trop à vous extraire ? Je vous pose la question mais je connais la réponse. Qui n’a jamais traversé une espèce de purée de pois pendant un petit temps ? Je parle ne pas d’une journée, ni même deux, mais plutôt quelques semaines.
Il y a eu des moments de joie certes, des journées moins tourmentées, je tiens à le dire, un peu d’émerveillement mais pas vraiment dans la durée, la toile de fond sombre revient encore et toujours. Toujours et encore. C’est radical, quand le ballet des étourneaux, le ciel rose et les lumières de Noël ne provoquent pas grand-chose en moi, il y a un problème. C’est le meilleur baromètre. Je le sais, je le sens, je sens une forme d’inertie, une spirale négative qui s’auto-alimente, je m’enfonce, je me réveille triste, je me couche triste, c’est pas bon. Les larmes coulent pour un rien, et même pour rien. La dépression ? Je n’irai pas jusque-là, je l’ai bien connue la dépression majeure qui plonge dans une obscurité profonde pendant plusieurs mois/années… Plutôt une déprime qui traine un peu. Un peu beaucoup.
C’est pas du tout à mon avantage de partager ceci parce qu’on ne retient souvent que le négatif. Retenez ce que vous voulez, je veux juste partager avec authenticité ma réalité du moment. Peut-être qu’elle entrera en résonance avec vous si vous vous sentez un peu embourbé aussi, peut-être qu’elle vous aidera à vous sentir moins seul, moins coupable ou honteux. C’est lourd d’être coincé dans des schémas négatifs comme la colère, la frustration, le sentiment d’injustice, la tristesse, le “à quoi bon” et le pessimisme. La liste est longue et déprimante mais je suis un peu passée par tous ces états ces dernières semaines. Apparemment les recherches en neurosciences ont démontré que nous avons besoin d’au moins 3 sentiments positifs pour contrecarrer 1 négatif. C’est fou quand même ce pouvoir du négatif.
Ai-je une intention en écrivant ce billet ? Oui. Celle de mettre des mots sur les maux, de nommer ce qui se passe, de poser des questions utiles face à des pensées parfois inutiles quand elles tournent en boucle et ne permettent pas d’avancer, de prendre du recul. Tout le monde sait que quand on apprend à reconnaître et identifier les schémas de pensée négatifs lorsqu’ils se produisent, on peut enfin prendre de la distance et comme il est grand temps que j’en mette entre moi et mes pensées, je tente l’exercice de “défusion cognitive”. Bein oui, je vais essayer d’arrêter de faire fusion avec mes pensées négatives et de leur donner tout le pouvoir. Les accueillir certes, sans les juger, mais avec une vision hélicoptère. Pas simple parce que parfois, on n’a juste pas envie de sortir de l’inertie, aussi paradoxal que ça puisse paraître, parfois on a juste envie de rester dans la plainte et même de s’y complaire, aussi débile que ça puisse paraître. Parfois on a envie d’envoyer chier tout ce qu’on entend : fais de la pleine conscience, transforme les difficultés en victoires, passe à l’action, ne lâche rien, remonte sur ton cheval, aère-toi, t’es en vie. Vos gueules ! Je pense avoir fait tout cela les deux dernières années et demie, je suis juste dans une impasse et peut-être bien pour une raison. J’alimente cette spirale négative tout en sachant que c’est stérile, et je patauge dans la plainte à outrance parfois tout en sachant que la seule personne qui peut donner un bon coup de pied dans le fond, c’est moi. Mais le négatif, le pessimisme, la plainte peuvent aussi être accueillis sans jugement, non ? Un besoin d’être reconnue dans ma difficulté et ma souffrance, un besoin de crier haut et fort que vraiment j’en ai ras-la-casquette de cette longue route. Longue route pleine de promesses ? C’est ça, c’est ça… Pleine de déceptions aussi.
J’ai pris le parti de rester très discrète et de ne jamais partager de photos de toutes les zones mutilées sauf en MP pour les sœurs de combat qui se posent des questions par rapport à mon type de reconstruction mais comme les photos valent mille mots, elles auraient pu illustrer mes propos plus aisément. De toute façon, elles ne diraient pas tout, il y a les cicatrices visibles mais il y a aussi tout ce qui se passe derrière, les blessures profondes et invisibles.
J’avoue que tous ces vœux ont été comme une secousse pour moi… je te souhaite une année remplie de joie, de petits et grands bonheurs, de magnifiques moments, de succès, de “que/des/trucs/super/sensas/en/fait”. Logique, on ne va pas se souhaiter la poisse et des malheurs mais je ne sais pas, quand on n’est pas en pleine forme, le contraste est encore plus grand en fait. De même quand j’entends “oui, mais t’es en vie”, certes, c’est une chance dont je mesure toute la valeur étant entourée de décès beaucoup trop fréquents, beaucoup trop jeunes et terriblement révoltants de par mes activités mais au moment de la peine, du creux, on a juste envie d’être reconnue dans et pour ce qu’on vit.
La longueur de la route aurait-elle à ce point pesé s’il n’y avait pas eu de mastectomie prophylactique et une deuxième reconstruction autologue ? Probablement pas. Il m’arrive de me dire “j’aurais pas dû, si j’avais su, j’aurais pas dû écouter une telle ou un tel, et si j’avais fait comme ça…” Ça ne sert à rien en fait, ça ne fait qu’alimenter la spirale négative mais c’est humain. Une chose est sûre, je réalise que tous les choix que j’ai faits depuis le début (et des choix à faire, il y en a eu une chiée) étaient chaque fois en alignement parfait donc rien à regretter et même pas de temps à perdre avec des regrets.
Le 5ème passage au bloc a été vécu comme celui de trop… et pourtant il y en a encore un ou deux. Drains encore et toujours, retrait de drains vécu comme une violence, perte totale de dignité, système digestif à l’arrêt entraînant douleurs et spasmes, douleurs comme si un rouleau compresseur m’était passé sur le corps en raison de toutes les zones charcutées, manque de sommeil, enterrement de Christine par zoom mais interrompu sans cesse par les infirmières le dernier jour d’hôpital, bref un cocktail idéal pour se sentir un peu vidée de son élan vital et de sa joie de vivre.
Les pleurs de décharge sur la table du bloc, le trop-plein, le corps qui sature, le corps qui ne supporte plus aucun geste médical, le corps organique fatigué qui rêve d’enfin laisser la place au corps symbolique, le ras-le-bol général de ces ambiances d’hôpital, de ces longs séjours, de ces perfs, de ces habits de chir, de ces chirs qui ne prennent même pas la peine de me saluer avant de me chipoter, triturer, couper, sectionner, malaxer, tordre, liposucer, réinjecter et, appelons un chat un chat, solidement me mutiler. C’est pour la bonne cause, on me reconstruit petit à petit mais il n’en reste pas moins que c’est dur et que chaque fois qu’on me reconstruit le torse, on me détruit un petit peu ailleurs. C’est un peu le principe de la reconstruction autologue et c’est loin d’être anodin physiquement et psychologiquement et je pense qu’il y a un réel souci d’information avant de se lancer dans de telles procédures chirurgicales. Une réelle prise de conscience. Vous pouvez compter sur moi pour encore traiter du sujet sur le podcast.
C’est cool à priori d’aller prendre une partie de son corps pour reconstruire une autre partie de son corps. C’est hyper beau en fait, ça a même un côté assez noble je trouve, c’est le corps sain qui reconstruit le corps qui était malade mais faut se les farcir ces balafres et ces insensibilités ailleurs en plus des balafres et des insensibilités aux seins. Une seule personne m’avait vraiment informée, c’est Mathilde mais je ne mesurais pas le poids de ses mots. D’ailleurs j’en profite pour lancer le message qu’il faut vraiment être convaincue à 2000 pourcent de son choix avant de se lancer dans ce type de reconstruction. Les mots d’Aurore résonnent plus que jamais dans ma tête “Je tente de reconstruire les femmes en les mutilant le moins possible ailleurs”. J’en mesure tout le sens même si encore une fois, je ne regrette pas mes choix qui, selon les dires de plusieurs chirs, étaient les plus appropriés. Mes propos peuvent vous sembler paradoxaux mais finalement le cancer nous plonge dans un monde de paradoxes incessants.
Je suis toujours frappée par cette manière dont la météo est présentée. Il fait -10 degrés C mais « ressenti -20 » ou alors à Houston, il y a 80 pourcent d’humidité mais « ressenti 95% ». Moi ce qui m’importe c’est le ressenti, c’est le -20, c’est le 95%. Eh bien voilà, j’ai baigné les derniers jours à l’hosto dans un espèce de cafard « ressenti désespoir ». C’est indécent de parler de désespoir, je n’ai pas de métastases, je suis en rémission, je suis une bolue dans toute sa splendeur par rapport à beaucoup de sœurs de combat, il n’empêche que quand on est dans le creux, dans les nombreux creux, on peut sentir “à ce moment-là, à ce moment précis” une sensation de réel désespoir, une sensation d’absence de lueur, une sensation que les choses n’iront jamais mieux. Les dernières 48 heures à l’hôpital, les larmes coulaient, la neige tombait sur le Boulevard du Triomphe mais elle ne tenait pas donc tout était gris et triste, j’étais épuisée, j’avais mal partout et je réalisais vraiment pour la première fois tout le chemin parcouru et celui encore à parcourir. C’est comme si mon franc tombait pour la première fois et violemment, après 2 ans et demi de lutte permanente pour remonter encore et toujours sur ma bête et garder le cap. Ont suivi 3 semaines d’arrêt total, principalement allongée dans mon canapé avec 3 plaids sur moi, mais surtout un épuisement troublant qui cloue et qui terrasse. Plus moyen de lutter, le corps malgré qu’il soit malmené gagne, le corps crie plus fort, l’esprit ne suit plus. Il faut s’allonger, il faut se reposer, il faut juste fermer les yeux et ne rien faire. Et l’utilisation des injonctions ici est intentionnelle. J’ai obéi à ce corps et j’ai tenté de digérer tout ce qui m’était arrivé depuis le début.
J’ai entendu “Faut bien passer par là quand on choisit une autologue”. C’est quoi cette formulation à la con ? Encore une injonction pesante, inutile et culpabilisante. J’ai pas choisi le cancer in the first place tout simplement. Remplaçons-le “faut bien passer par là” par “je passe tout simplement par là et voilà, je voulais en témoigner toutes les difficultés, les déposer dans ce billet et prendre de la distance pour mieux rebondir.”
Je ne terminerai pas par faire l’éloge de la plainte mais j’ai néanmoins quelque chose à partager. J’ai une tolérance très limitée pour les personnes qui se complaisent des années, voire même toute une vie, dans des plaintes stériles et qui ne sont pas foutues de faire un premier petit pas pour améliorer leur état. Ces Calimero constants qui déversent un flot incessant de lamentations, qui cherchent des causes extérieures, ou ces chouinards compulsifs qui se plaignent pour pas grand-chose. En attendant, j’ai senti que j’avais aussi, tel Calimero, enfilé un demi-œuf sur la tête et c’était pas super constructif de ressasser ce sentiment d’injustice, de frustration, de colère, de négativisme en permanence mais, mais, mais… la plainte est-elle toujours si négative ? Y a-t-il parfois une raison personnelle à faire du surplace ? La plainte peut parfois soulager, c’est parfois libérateur de tensions de dire que rien ne va plus et que tout est devenu trop. Peut-être qu’elle n’est pas si stérile cette plainte-là si elle permet d’exprimer un véritable besoin et si elle n’exprime pas une forme de destructivité ou une haine à l’égard du monde et des autres.
Quelle est l’intention de cette plainte ? Quel est le besoin derrière la plainte ? Un appel à l’aide, un besoin de reconnaissance dans sa souffrance, une émotion sincère comme une tristesse ou une lassitude profonde, un chagrin, un moyen de soulager une angoisse ou alors un simple moyen d’attirer l’attention ou de discréditer une personne ?
Moi, je réponds un besoin de reconnaissance dans et pour ce que je vis en ce moment, un besoin de dire que c’est dur, que c’est long, que c’est une saloperie de maladie qui affecte tous les domaines de notre vie, que ce soit professionnel, social, personnel, intime… tous. Je n’ai pas dit « de manière désastreuse » mais ça nous force à panser nos blessures et repenser beaucoup de choses. Retrouver des nouveaux repères dans un nouveau corps fatigué, malmené par les traitements encore en cours et bien souvent balafré. Repenser beaucoup de choses « pour un mieux peut-être », je le souhaite à toutes les personnes qui passent pas là, mais il n’empêche qu’au creux de la vague, des multiples vagues, on se dit qu’on s’en serait volontiers passé. Juste envie d’entendre Didier me dire tout simplement “Viens là mon bilou que je te serre dans mes bras, je sais et je vois que c’est dur et que tu trinques souvent en silence” plutôt que “Tu es si courageuse, tu remontes tout le temps sur ta bête et tu fais des choses formidables pour les autres.”
J’ai repris le travail lundi mais à mon rythme et je suis encore trop fragile et fatiguée pour faire face aux pressions extérieures. Beaucoup de questionnements en ce début d’année, pas sûre de savoir quelle direction prendre, il y a énormément de projets. Je sais que c’est une chance et qu’il y en a qui rêveraient d’en avoir ne fût-ce qu’un seul. Je ne sais pas encore très bien comment je vais organiser mon emploi du temps pour ne pas retomber dans le too much. Vraiment non merci, j’ai donné. Et c’est vrai que lundi, je ressentais du positif, une espèce de poussée d’élan vital, une certaine joie de me sentir à nouveau active, utile, “normale”, “pas malade ou cassée”. Je ressentais que la vie était plus large que tout ce que je vivais depuis quelques semaines. J’ai dit à Xavier lors de notre dernière session de Reiki : « C’est bien de reprendre le travail, ça permet de mettre une couche sur la tristesse du moment » et il a proposé de reformuler en disant « Pourquoi ne dirions-nous pas que c’est comme une source dans le désert ? »
Le choix des mots et l’histoire prend une autre tournure.
Je vais tenter l’exercice pour ce corps en chantier…
Je vous embrasse de tout mon cœur et vous souhaite une année en pleine santé parce que pour moi, on est riche que de sa santé.
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Merci Delphine, je t’avoue que je me pose tellement de questions sur une éventuelle reconstruction ou pas, vais-je arrivé à traverser cette reconstruction.
Je t’embrasse et te comprends tellement, j’ai envie mais j’ai peur d’être à nouveau abîmé.
Take care, tu es formidable, je t’admire et aimerais tant avoir ton courage.
Sophie
Ma So, rien ne presse, tu n’es probablement pas prête. Prends ton temps pour prendre la bonne décision… vraiment rien ne presse. Reconstruire ou pas reconstruire, ma cervelle était une véritable girouette pendant des mois mais un jour, c’est devenu clair. Je te le souhaite aussi mais ne te mets pas de pression. Lots of love, j’espère que tu as pu contacter Daphné.
Moi qui suis toujours down en fin d’année j’ai failli casser la gueule à toute personne qui me souhaitait un “bonne année !!!!” 🤣 Bisou !!!
Sacrée Gégé!!! J’espère que le down a laissé place à un up de janvier! Multe kisss à toi!
Moi aussi je te serre tres fort dans mes bras et te fais un enorme calin. Je suis si d’accord avec toi: il faut se donner le droit de se plaindre, d’admettre que cela ne va pas parfois. Tu as tellement raison et tu le dis si bien. Ce que tu exprimes raisonne en moi. Merci pour cette belle reflection, chere Delphine! Apres la pluie, le soleil. L’hiver est parfois long mais le printemps revient toujours… Enormes kissssss
Merci ma chère Sandy pour tes gentils mots! Je pense souvent à toi! Ravie que ce texte ait pu résonner en toi… Hâte de te voir un jour chez notre copine commune Marina!
je t’entends….tellement
Merci de tout coeur et énormes bisous!
Delphine, je me retrouves tellement dans ce blog.
Reconstruite physiquement mais finalement plus fragile mentalement. Pour la plupart, tout est derrière moi mais si il savait comme ce n’est pas si facile.
Tellement important de mettre des mots sur tout cela… Je suis heureuse que ce blog ait résonné en toi, ça fait toujours du bien de se sentir moins seule et comprise quand l’entourage ne comprend pas bien… Gros bisous.
Merci Delphine pour tout ce que tu dis de toi.
L’anagramme de plainte, c’est pliante et je trouve que toi et tes sœurs de douleur, vous vous êtes pliées à tant de choses hyper difficiles.
Je vous remercie et vous admire.
Françoise
Rooo c’est magique ce que tu écris!!! Merci pour ton soutien et énormes bisous!