L’envie d’écrire un post sur la résilience m’est venue pendant que je rédigeais mon blog sur l’Accueil comme si les deux allaient de pair. Accueil sans jugement des émotions, de la colère, des obstacles de la vie et des jugements aussi. Transformation de ceux-ci en force de vie et en opportunités uniques d’évoluer et de grandir. N’est-ce pas la définition de la résilience ? Et pourtant je n’ai pas utilisé ce terme dans mon blog précédent. La rédaction d’un article sur le sujet était donc pour moi une évidence, un peu comme si le blog sur l’Accueil n’était pas tout à fait fini et méritait encore quelques réflexions. Je n’ai absolument pas la prétention de me présenter comme une spécialiste de la résilience, loin de là, mais c’est un thème auquel je pense beaucoup pour le moment et qui me touche particulièrement, et je voulais vous le partager.
Avant de me lancer dans ce vaste sujet, je voulais juste vous dire que j’avais un peu l’impression que le blog prenait la tournure d’un blog de psycho et que l’humour n’était plus vraiment au rendez-vous. Pour le moment, je me sens plus d’humeur à aborder ces grands thèmes de l’accueil, de la féminité, de la résilience et je suis sûre que la fin de la chimio (qui approche à grands pas) suscitera encore quelques réflexions un peu perturbantes sur la fin de ma bulle de sécurité, de mon cocon protecteur, de ma routine qui rassure, de cet enveloppement d’amour et de soutien. Mais elle est dingue ou quoi ? De quoi elle cause ? Elle redoute la fin de la chimio ? Nous en reparlerons…
Plus que 3. Plus que 3 chimios. 3 semaines. On m’avait dit que la 9ème était un peu plus corsée, pas à cause du produit qui est toujours le même mais à cause de l’accumulation de la fatigue. Ah bon, quelle fatigue ? J’avais plutôt la pêche depuis la fin des grosses chimios EC et là, bamps, ça m’est tombé dessus. Mais ce n’était pas vraiment une fatigue, c’était un état un peu différent, un peu spécial…
Vendredi dernier, je n’ai reçu que 50 pourcent de la dose habituelle car les neuropathies périphériques qui se traduisent par des fourmillements/engourdissements dans les doigts et les pieds augmentaient. Pas du tout de manière dramatique au point de perdre la préhension ou d’être incapable de marcher, mais Docteur Zen ne voulait pas prendre le risque que ces neuropathies deviennent irréversibles. Bien d’accord avec lui car certains jours, j’avais l’impression que j’avais au pied des bottines de ski beaucoup trop serrées et ça aurait été invivable que cette sensation ne disparaisse jamais. Le Taxol s’est plus attaqué aux pieds comme s’il avait capté qu’il fallait foutre la paix aux doigts pour leur permettre de continuer le blog sans souffrance à chaque touche.
50 pourcent de la dose et les fourmillements sont quasi tous partis. J’ai presqu’envie de dire que les autres 50 pourcent dans le baxter étaient un mix de mélancolie, d’espèce de fatigue, de hauts et de bas, de réflexions pas toutes super légères, et d’un brin de solitude… Si j’avais ecrit le blog trois jours plus tard, il aurait pris une autre tournure, une tournure plus joyeuse, mais voilà comment je me sentais le weekend dernier, un peu vidée de l’intérieur. C’était un peu entre une fatigue psychologique avec une pointe de fatigue physique, une sentiment de solitude malgré l’abondance de soutien que je reçois et puis aussi une sensation de flotter, d’être plus légère que l’air, de planer à 2 mètres du sol comme si je voyais ma vie d’en haut, comme un petit drone extérieur à ma vie mais qui la regarde avec une petite touche de mélancolie. Et puis, comme je me sentais en apesanteur, je n’ai pas toujours eu l’impression d’être sur la même longueur d’ondes que Didier et les boys. Et comme je leur épargne bien évidemment les grandes réflexions et cette angoisse de l’après, je me suis sentie un peu seule, chez moi, dans ma tête, au sein de ma famille. Ça fait un peu beaucoup de ‘compléments de lieu’ mais c’était juste pour mettre l’accent sur le fait qu’on puisse se sentir de temps en temps ‘seule à l’intérieur’ malgré un entourage aimant, bel et bien présent physiquement.
Je n’oublie évidemment pas de mentionner les moments de joie, les kifs journaliers, comme les réunions de chantier que j’ADORE, les plantations dans la nouvelle maison, les petits diners entre amis, nos repas au coin du feu, des lectures qui me m’enivrent ou me font voyager, des rencontres avec des nouvelles copines cancer, les préparatifs de Noël, le blog, des messages formidables, les sessions avec Xavier, … la liste est longue.
On s’est complètement éloigné du sujet mais voilà l’état des derniers jours avant d’attaquer ce sujet qui m’a fait beaucoup réfléchir il y a quelques années quand j’ai été contactée par Healthcorps pour être la keynote speaker d’une journée de conférences à Houston. En deux mots, Healthcorps est une nonprofit américaine dans laquelle je me suis beaucoup impliquée. Elle place des formateurs dans des écoles défavorisées de plus de 30 États pour implémenter un curriculum basé sur la nutrition, le sport et la résilience mentale. J’étais fascinée par tous les chapitres sur la résilience enseignée aux enfants. Venant de milieux défavorisés, ils en savaient quelque chose mais ils avaient aussi besoin de soutien au sein de l’école puisque les familles n’étaient pas toujours à même de leur offrir le support dont ils avaient besoin. Il y avait des exercices de groupe, des jeux, des mises en situation, on leur apprenait à identifier leurs stress et à trouver des stratégies pour les gérer, à faire face aux challenges de la vie et à les utiliser comme tremplins pour rebondir et grandir, à reconnaître des situations de harcèlement et à réagir pour se protéger ou protéger un ami, à développer des relations saines et s’éloigner des relations toxiques, à demander de l’aide, …
- Delphine, we want you to talk about resilience.
De même qu’accueillir, le mot résilience ne faisait pas partie de mon jargon. Je ne l’utilisais jamais et je me suis même mise à faire des recherches pour préparer mon speech. C’est quoi au fond ? Qu’est-ce que ce terme englobe ?
- Is there something in particular you want me to talk about ?
- Your battle against anorexia.
Milliard, dis donc… mais qui suis-je pour parler de résilience ? N’est-ce pas un terme que l’on utilise plus en cas de guerre, de traumatismes sévères, de maladies très graves, de perte de tout en cas de catastrophes naturelles, d’un deuil lourd, … Un terme qu’on utilise quand on pense à Anne Frank, Nelson Mandela, les survivants de l’Holocauste, une maman qui a perdu sa fille d’une leucémie et qui lance une fondation pour soutenir les parents d’enfants atteints de la même maladie, une personne paraplégique qui a remporté une médaille d’or dans une discipline sportive, … ?
La résilience, c’est quoi ?
« La résilience, c’est l’art de naviguer dans les torrents » – Boris Cyrulnik
En réalité, ce mot vient de la physique et désigne l’aptitude d’un matériau à retrouver sa forme après été comprimé ou déformé. Je trouve que les mots « déformé et comprimé » sont assez imagés pour illustrer la définition en psychologie. La résilience est la capacité d’une personne à résister à une épreuve brutale ou un traumatisme et à en tirer parti pour se renforcer. Même si ce terme est plus souvent utilisé en cas de traumatisme, le processus qui permet de se relever et reprendre son développement après un sale coup du sort nous concerne tous. Il nous oblige à penser la vie en termes d’évolution, de devenir.
Je pense qu’on peut tous trouver un exemple personnel. TOUS. Un deuil, une trahison, un divorce, des parents négligents, un abus moral, une maladie grave, une faillite, une agression, un accident, …
C’était étonnant de lire que ce mot n’existait pas dans toutes les langues et que l’anglais était une des rares langues ayant un mot courant pour désigner la résilience humaine : resilience. En français, nous n’avions que « résilier », principalement utilisé en droit civil et en droit du travail (« résilier un contrat ») ou encore utilisé pour dire abandonner. Intéressant de se demander si ce n’est finalement pas « résilier un contrat avec l’adversité » ?
Pendant des décennies, les spécialistes avaient tendance à penser qu’un drame personnel conduisait la plupart du temps à une psychopathologie. Pas super optimiste… Un enfant maltraité deviendrait quasi à coup sûr un délinquant ou un parent maltraitant, un criminel. Presque comme une évidence mais les faits sont venus contredire ces croyances pessimistes et les chercheurs sont de plus en plus nombreux à étudier ce phénomène de résilience. J’ai d’ailleurs l’impression de voir ce mot partout depuis mon speech. Il est en tous cas très à la mode sur la toile et tant mieux, je trouve qu’il est extrêmement positif. Le terme était peu connu jusque dans les années 90, c’est Boris Cyrulnik qui a été le premier à s’y atteler en France, sous l’influence de deux psychiatres américains. Boris Cyrulnik a perdu ses deux parents à Auschwitz en 42 et à 6 ans, il a réussi à échapper aux Allemands venus l’arrêter pour le mettre à mort. Il a consacré sa vie à étudier le phénomène de résilience.
J’adore le nom du livre de Gustave-Nicolas Fischer, professeur de psychologie sociale à l’université de Metz: Le Ressort invisible. Ressort, force morale et aussi organe élastique capable de supporter des déformations pas possibles, qui peut être tordu, tendu, plié, comprimé, il tendra toujours à reprendre sa forme initiale. Des images fortes pour illustrer la résilience.
Ce ressort qui permet de transformer l’obstacle en tremplin, la fragilité en richesse. Fischer nous dit « Paradoxalement, c’est lorsqu’on doit affronter la mort que l’on apprend à vivre. »
Se blinder émotionnellement ou plutôt élargir son regard et son horizon après un terrible coup du sort ? L’expérience de notre vulnérabilité au cœur de cet élargissement…
Ce blog est court, je ne savais pas trop où il allait me mener. Des questions ouvertes, des réflexions, plein de choses à découvrir, j’apprends, j’apprends tous les jours… J’avais néanmoins un rêve avant de le rédiger, celui de vous partager cette vidéo que j’adore. Vous l’avez peut-être déjà vue. Sûrement même et je vous conseille de la re-re-re-visualiser car elle procure à chaque fois des émotions intenses. Pour ma part, un mix un peu étonnant d’émotions si positives et belles, une paix intérieure, la niaque, la motivation, l’envie de célébrer la vie et aussi de la remercier pour ce qu’elle m’a apporté de beau et de magique et aussi de plus pénible et douloureux. Didier trouve ce genre de vidéos un rien cliché. Perso, je trouve qu’elle est magnifique, de même que ce splendide art japonais que je n’ai pas pu m’empêcher d’essayer. J’en rêvais depuis longtemps.
Le « Kintsukuroi » ( 金繕い ou “réparation en or” ) vaut bien plus que toutes les définitions que l’on puisse trouver ou écrire sur la résilience… et l’accueil aussi…, bien plus que deux blogs d’amateure (ou amatrice, j’ai trouvé les deux sur le net :-)).
ENJOY !


Super ambiance au 5ème ! “Qui garde son âme d’enfant ne vieillit jamais.”
Admirable video ! L’idée de remplir les cicatrices d’or comme témoignage des épreuves surmontées est géniale ! Merci Delphine !
Cher Jean Louis! Je trouve que c’est complètement magique et splendide! J’ai eu un photographe en ligne, il fait des photos splendides de mastectomie et il vient mettre de la feuille d’or sur les cicatrices. C’est tellement émouvant! Je te souhaite d’excellentes fêtes si nous ne nous écrivons pas d’ici là! Delphine