Je n’irai pas par 4 chemins, vous devez faire de la chimio…

Je n’irai pas par 4 chemins, vous devez faire de la chimio…

Je suis sûre que vous vous dites que c’est une manière un peu trash d’annoncer de la chimio. Eh bien, vous vous trompez. Je pense que Docteur Zen a aussi fait un master en psycho pendant ses années d’onco, vous comprendrez mieux dans quelques instants. Il était plutôt à l’heure donc la tension n’a pas eu le temps de monter. Il faut dire les choses comme elles sont, le stress et le malaise s’intensifient quand on est à l’étage des chimios et qu’on ne sait pas à quelle sauce on va être bouffée.

Quand Didier s’est mis en route, je lui ai demandé s’il pouvait faire un petit stop à la pharmacie pour acheter du Primperan car la nausée montait même si j’avais un super bon pressentiment. Dans ma tête, je n’allais pas à avoir de chimio, j’étais presque sûre. C’est un peu idiot à dire mais mon ancienne femme de ménage, Liliane, est un peu voyante sur les bords et elle m’a dit que je n’allais pas en avoir. Elle m’a déjà dit plein de trucs vrais à l’époque comme notre re-départ pour Houston comme expats alors que c’était tout à fait impossible. Elle avait vu juste et « impossible » ne fait donc plus partie de mon vocabulaire. Elle avait aussi « vu » que j’aurais quelques soucis de santé en plein déménagement pour mon re-départ à Houston. Cellules précancéreuses dans le col et un petit tour sur le billard vite vite avant de prendre l’avion pour notre deuxième expatriation.

Je me suis dit que si elle avait été capable de prédire des évènements aussi précis, elle aurait certainement raison pour la chimio. On croit ce qu’on veut, généralement je prends toujours tout le bon de ces voyances et je vire le mauvais, je l’ai crue dur comme fer. Ceci dit, cela n’a pas empêché la nausée dans la voiture mais j’étais confiante. C’est un paradoxe mais vous avez compris si vous avez lu quelques blogs que le cancer fait vivre des paradoxes incroyables.

A peine en route depuis 10 minutes, coup de téléphone d’une amie de mon amie Marie, qui est onco à Bordet. Quelle magie du sort qu’elle m’ait appelée justement à ce moment-là. Je prends tous ces petits signes de l’Univers comme des bénédictions. Nous avons passé tout le trajet au téléphone et elle m’a tout expliqué de manière très claire et très affectueuse. La différence entre le cas clinique et le cas génomique et son point du vue sur la situation. Elle m’a aussi extrêmement bien préparée à ce que je pouvais entendre une demi-heure plus tard et je ne la remercierai jamais assez car cela m’a permis de « profiter » pleinement du rendez-vous avec Docteur Zen. Oui, j’ai dit ‘profiter’ car j’étais dans le moment présent, j’étais calme, sereine et à l’écoute. J’ai profité de tout « l’humain » pendant ce rendez-vous qui, en soi, aurait pu être vécu de manière assez tragique.

La perspective et l’angle.
Quand on regarde une magnifique sculpture, on tourne autour d’elle, on la regarde sous tous ses angles et on en profite sous toutes ses formes. Enfin moi, c’est comme ça que je fais, ça me permet de l’apprécier davantage. Parce que si vous vous souvenez de la sculpture de Vanessa (« Pourquoi la petit souris ne passe pas quand on perd un sein ? »), chaque angle nous raconte une histoire.

Quand je peignais à l’huile, la perspective était un aspect fascinant et complexe. Comment peindre du 3D sur un support 2D ? C’était toute la magie de la perspective, la magie des ombres et des lumières. J’ai eu ma phase cubiste que j’adorais par-dessus tout. C’était fantastique de pouvoir casser les règles, défier les lois de la perspective et voir la réalité sous un autre angle. C’était un exercice assez compliqué techniquement et psychologiquement. Il fallait lâcher prise et accepter de voir et de vivre les choses autrement. 

C’est exactement la même chose pour mon cancer. Exactement. Quand on décide de choisir l’angle et la perspective, on peut changer tout le sens et l’interprétation de ce qui nous arrive et c’est fascinant. Docteur Zen, de par son empathie et son sens humain prononcé, a facilité cela même si c’était déjà ma philosophie.

Docteur Zen nous a appelés dans son bureau puis il est reparti quelques minutes. J’attendais tranquillement avec Didier que j’avais calé derrière l’ordi pour éviter le « man-to-man eye contact » trop fréquent qui me fait sentir hors du coup. J’attrapais quelques dépliants devant moi qui expliquaient des traitements et je les lisais à Didier. Il est revenu et il a dit
« J’ai lu votre blog « Le cancer, c’est un peu comme un examen de stat et proba à l’IAG », je ne suis pas aussi jeune que vous le croyez, j’ai 48 ans. »
« J’aurais pu vous appeler Docteur Baby Face alors. »
Il s’est assis et puis y a eu 3 secondes de silence. Si vous pensez que 3 secondes, c’est rien et bien, je peux vous dire quand ce n’est pas rien dans de telles circonstances. Il n’a pas dû s’en rendre compte mais il m’a regardée d’un regard tellement profond et n’a pas dit un mot pendant 3 secondes. Peut-être pour trouver la phrase idéale en fonction du regard. Il me semble que je n’ai pas cligné des yeux une seule fois, j’avais des yeux comme des billes prêts à accueillir avec attention ce qu’il avait à me dire. Je n’oublierai jamais ce regard et les 3 secondes de silence. J’ai presque envie de dire que c’était un beau moment, un moment si intense.

Ça doit être terriblement difficile d’annoncer à une jeune femme qu’elle doit faire de la chimio, une jeune femme qui s’est déjà pris deux opérations dans les dents en 30 jours, une jeune femme qui a perdu son sein, une jeune femme qui a espéré pendant un mois de ne jamais devoir faire de chimio. Je n’ose pas imaginer la difficulté d’annoncer aux patients que leurs jours sont comptés. J’ai l’intime conviction qu’il adapte sa toute première phrase en fonction du regard de la patiente. 

« Bon, je n’irai pas par quatre chemins, vous devez faire de la chimio. »
Si vous vous dites encore après avoir lu le début de ce blog qu’on n’annonce pas de la chimio de la sorte, c’est parce que vous n’avez pas bien lu. Parfois je regrette qu’il n’y ait pas de mini caméras cachées pour capter juste les regards, ça me permettrait d’illustrer des moments qui sont parfois indescriptibles. Il a annoncé la chimio avec brio. A quoi aurait-ce servi de sortir tout un blabla inutile et tourner autour du pot avant de lâcher le morceau ? Dans certaines circonstances, ça peut être approprié de ‘prendre 4 chemins’ pour annoncer une nouvelle ou faire monter l’excitation, pas dans le cas de la chimio. Il ne faut pas faire planer le suspense pendant les 60 premières secondes du rendez-vous ou même donner un faux espoir, il faut balancer la vérité, aussi cruelle soit-elle, avec le même regard que Docteur Zen.

Ce blog n’est pas facile à rédiger. C’est un peu compliqué de relater de manière structurée tout ce qui s’est échangé pendant 1 heure 45 parce que la consulte n’avait rien de structuré. Alors que Docteur Zen a l’air hyper organisé et méthodique, vous vous souvenez de l’arbre décisionnel, cette conversation n’avait pas de structure précise, que du contraire, nous nous sentions libres de partager tout ce qui nous venait à l’esprit (surtout au cœur mais je ne pense pas que l’expression « ce qui nous vient au cœur » existe), sans contrainte de temps, sans ordre précis, sans tabou et avec bienveillance. On a parlé de TOUT avec mon langage préféré et celui que je comprends le mieux : le langage des émotions.

Si je devais faire un camembert bleu et vert sur Excel avec les pourcentages « aspects médicaux » « aspects humains », la part « aspects humains » serait plus que majoritaire.

Évidemment qu’on a parlé d’aspects plus techniques aussi :

Comment on administre la chimio. L’anesthésiste va me placer un PICC line dans le haut du bras à plus ou moins 10 cm de l’aisselle, c’est le cathéter qui rentre par là et va rejoindre une veine plus large, c’est par là qu’on va injecter les produits (la chimio). Pourquoi pas un port-à-cath ? Parce que Docteur Zen préfère cette solution plus discrète pour les femmes. Elle permet de ne pas altérer le décoté. Much appreciated comme on dit aux US. Parfois, ça foire et l’anesthésiste ne trouve pas son chemin à cause de trop petites veines. J’espère que la taille des veines n’a rien à voir avec la corpulence sinon je suis mal barrée. Je ne pense pas car je me souviens que des infirmières avaient déjà parlé de mes veines en disant « de vraies autoroutes ». Je vous dis quand même que si ça échoue, alors c’est le port-à-cath sous anesthésie générale qui reporte le début de la chimio de 4-5 jours. Pas génial mais on fera ‘avec’ comme on dit chez nous. Quand on est onco, on sait gérer les imprévus. Je voudrais juste m’assurer que ce soit l’anesthésiste « le plus mignon de la terre » qui m’endorme (j’en parle dans mon blog « Tu es la plus belle des Amazones ») parce que son anesthésie ne m’avait absolument pas rendue malade une seule seconde, contrairement à la première quelques semaines plus tôt.

Quelques petits risques éventuels…   Qui changent nos plans pour la Bretagne. Les (mal)chances sont très faibles mais le 7ème jour après l’injection, il peut y avoir de la fièvre et si c’est le cas, il faut se rendre aux urgences dans les deux heures et s’attendre à passer 2-3 jours à l’hosto. Qu’est-ce qu’on fait pour la Bretagne, le 7ème jour tombe en plein milieu du séjour ? Docteur Zen nous a bien expliqué que si on trouve un « centre de lutte contre le cancer » (et non un hôpital de province) à moins d’une heure de route, on est plus ou moins bon. Didier n’a pas perdu une seconde pour checker sur son téléphone s’il y en avait un à Quimper. Apparemment oui, mais « bilou, est-ce qu’on a vraiment envie de prendre ce risque pour la première chimio, franchement ? »
« Je n’irai alors pas en Bretagne, je reste avec toi »
« Il n’est pas un instant question que tu annules tes vacances, tu vas avec William, on a déjà annulé Washington, tu pars et tu vas profiter, je te le demande. Et je veux que William passe des vacances extraordinaires ». J’étais tellement déterminée qu’il s’est tu et il a compris qu’il ne fallait pas remettre le sujet sur la table. A aucun moment car quand j’ai décidé quelque chose, je n’en démords pas.

Je ne l’ai pas dit au moment même mais je suis vraiment triste pour la Bretagne, vraiment très très triste et aussi pour la descente en Bretagne en deux étapes. Didier avait réservé un endroit sublime à côté des plages du débarquement. Un endroit que je méritais bien après les deux opérations et la tristesse d’avoir dû annuler le voyage en West Virginia que j’attendais depuis 6 mois. Nous allons à Sainte-Marine depuis 3 ans. C’est un endroit que j’adore, non pour le climat ;-), mais pour les ambiances extraordinaires et les amis que nous retrouvons sur place chaque année. Nous sommes 50 cette année (moitié adultes/moitié enfants), c’est un peu comme si on avait envahi Sainte-Marine et l’ile Tudy et on est repartis en je-ne-sais-combien de maisons. C’est là que j’ai rencontré Didier en 1992, sur le quai de l’ile Tudy plus précisément. Un vrai comte de fée ou de marin. On a un petit rêve avec Didier, y acheter une petite maison de pêcheur un jour.

Les effets secondaires de la chimio. Si ce paragraphe vous parait long, l’explication pendant le rendez-vous était en fait assez courte, c’était bouclé en 10 minutes en fin de consulte. Docteur Zen a fait un petit bullet point avec : Nausées – Concentration – Cheveux – Cœur (j’en oublie un ou deux mais je n’arrive pas à m’en souvenir).

Nausées, pas besoin de vous expliquer, vous le savez tous, à part qu’aujourd’hui avec les produits anti-nauséeux de compète, il paraît qu’on n’est plus trop malade. Je vais avoir solidement besoin de Xavier et Éric (l’acupuncteur) pour atténuer cet effet secondaire car nauséeuse est un adjectif qui me qualifie super bien. Quand je suis fatiguée, j’ai la nausée ; quand je suis en voiture, j’ai la nausée ; quand l’atterrissage est un peu turbulent, j’ai la nausée ; quand j’ai bu trois verres de vin et je me suis couchée trop tard, j’ai la nausée ; quand je me rends à Saint-Pierre, j’ai la nausée. On verra pour la chimio.
« Est-ce que ce jeûne (la veille, le jour-même et le lendemain des chimios) dont on parle beaucoup est une bonne idée ? Est-ce que c’est prouvé scientifiquement ? De toute façon, je ne pense pas que ce soit une option pour moi, je n’ai vraiment aucune réserve »
« Ce n’est pas prouvé et ce n’est peut-être pas une excellente idée, je vous conseille plusieurs petits repas tout au long de la journée »
« Comme les trois premiers mois de grossesse, plein de petites choses à grignoter pour éviter que les nausées soient trop fortes ? »
 « Oui, c’est ça ».

Concentration. « C’est le fameux chemo brain ». Si vous n’avez jamais entendu l’expression, c’est l’état que décrivent pas mal de personnes qui ont fait de la chimio. Étant assez persuadée, même si jamais diagnostiquée, que j’ai un léger trouble de l’attention avec hyperactivité, j’espère que ça ne va pas être trop fort car je veux à tout prix être capable de continuer à écrire mon blog sans mettre des heures à trouver mes mots. L’écriture, les idées et les mots jaillissent comme les geysers du Yellowstone, je ne voudrais pas que ça s’arrête parce que c’est tellement magique, c’est explosif, mes mains tapent toutes seules à une vitesse incompréhensible comme si j’avais un diplôme de dactylo. Je ne peux pas vous en dire plus sur cet effet secondaire, je demande à l’Univers qu’il m’épargne pour que je puisse continuer ce que j’aime le plus en ce moment : écrire.

Les cheveux, ils tombent 15 jours après la première chimio.
« Et le casque réfrigérant, ça marche pour pouvoir les garder ? »
« Ça marche pour certaines chimios mais pas la vôtre ».
Au moment-même, j’ai crâné. On a parlé de manière légère de perruques et de foulards.
« Bilou, tu peux m’offrir une belle perruque en cheveux naturels ? Ça me ferait tellement plaisir. Allez bilou, un cadeau de Noël avant Noël ».
La mutuelle rembourse 150 euros et la DKV s’aligne, cela fait un montant de 300 euros pour une perruque en cheveux naturels qui en vaut 10 fois plus. J’étais déjà allée rencontrer la perruquière de Toujours Belle. Elle m’avait dit qu’elle pourrait faire une perruque avec mes cheveux mais il fallait que je les rase avant la première chimio. Et ça, je n’y arriverai pas psychologiquement. Se raser la tête avant même que la chimio ne commence, c’est impossible, donc j’oublie l’idée.

J’irai voir des perruques à Houston demain après-midi, je suis en fait au-dessus de l’Atlantique à l’instant où je vous écris où je vais passer la semaine la plus géniale de ma vie. Je vais « soak up » toute l’énergie de cette ville que j’adore et me remplir les yeux et le cœur de tous mes petits plaisirs. Respirer l’odeur des plantes grasses, observer les oiseaux mouches, écouter le bruit magique des sprinklers quand tout le monde dort encore, siroter une margarita en observant les couchers de soleil roses qui n’existent nulle part ailleurs qu’à Houston, me balader a la Glassell School of Art où j’ai passé 7 ans de ma vie avec un tablier blanc et de la peinture à l’huile plein les mains, m’asseoir dans le jardin de la Glassell et admirer les Giacometti, déambuler dans les couloirs du Fine Arts, me balader sur South Boulevard sous les chênes dont certaines branches croulent sous leur poids et rampent sur le sol, me balader chez Whole Foods et prendre une petite coupe de champagne chez Drexel en dégustant des shishitos grillés et la meilleure salade du monde de kale aux pignons grillés et parmesan.

J’ai dévié, on parlait de perruques aux cheveux naturels. Il y a aussi des synthétiques, on verra ce que je trouve déjà à Houston. Ça vaut la peine que j’aille voir car je sais qu’ils ont beaucoup plus de choix qu’en Belgique. Suite au prochain numéro.

Les bouffées de chaleur et les symptômes de la ménopause dans 90 pourcent des cas, trois mois après la première chimio. Je vais faire une erreur si je rentre dans les détails parce que je n’ai pas tout super bien compris, mais les règles vont s’arrêter et les bouffées de chaleur vont commencer. Après la chimio, je sais qu’il y une chance de devoir me mettre en ménopause forcée mais ce sera pour un autre blog quand j’aurai mieux compris. Je vous avoue que ceci m’affecte terriblement comme la perte de cheveux. Le retour de mes règles il y a quelques années a été le symbole le plus puissant de ma victoire sur l’anorexie. Tous les 28 jours, je célèbre cette victoire et je le dis à Didier. Alors que la plupart des femmes se plaignent de ce moment du mois, moi, je le célèbre. Je célèbre ma féminité et ma victoire et le coup de la ménopause me plombe.

« De toute façon, la ménopause te pendait au nez ».
« Elle serait arrivée lentement et naturellement et j’aurais encore profité de ces symboles de victoires tous les mois, encore pendant quelques années. »
Ça me va loin et ça m’attriste très fort et je ne pense pas que les femmes qui n’ont pas été anorexiques peuvent vraiment comprendre. Je n’ai pas expliqué ça à Docteur Zen parce que ce n’était pas vraiment l’objet du rendez-vous.

Je vous parlais aussi de mes cheveux, j’adore mes longs cheveux blonds, je n’en ai pas beaucoup et ils sont filasses mais je les adore. Ils sont aussi pour moi un symbole de féminité. J’ai décidé de les laisser pousser quand je suis sortie de cette anorexie, je n’ai pas de bon souvenir des cheveux courts et ça m’angoisse de repasser par cette phase qui peut être très mignonne mais qui est chargée d’émotions lourdes. Pour être honnête avec vous, l’absence de règles et la perte de cheveux sont plus difficiles que la perte d’un sein. Il y a deux mois avant cette annonce de cancer, William me disait « Maman, tu es trop belle avec tes cheveux longs, ne les recoupe jamais ».

Le cœur.
« Le cœur, mais pourquoi vous avez écrit le cœur ? »
« Parce que le chimio est dure pour le cœur. Nous allons vous faire une écho du cœur avant de commencer. » 
« Mais mon cœur peut s’arrêter de battre avec la chimio ? »
« Non pas du tout, et puis c’est un cas sur 10,000 (je ne me souviens plus du nombre exact). Nous n’allons pas refaire une écho à chaque fois mais nous surveillons. Je voulais juste vous expliquer pourquoi vous aurez une écho du cœur. »

Les compléments alimentaires, l’alimentation. Ça, c’est moi qui lui ai demandé.
« Je suis nutrithérapeute, je prescris des compléments alimentaires tous les jours, mais je suis perdue pour moi-même dans toute cette histoire de cancer. » J’ai pas vraiment eu de réponse mais pas grave car ma copine Fanny me dira exactement ce que je dois prendre, elle connaît ça très bien.
« Et l’alimentation, vous avez quelque chose de spécial à mentionner ? »
« Il y a une diététicienne ici à l’hôpital éventuellement… »
« Si c’est celle qui compose les menus pour les hospitalisations, il ne vaut mieux pas qu’on se rencontre, on ne sera jamais sur la même longueur d’ondes. »
Vous savez tous qu’il y a un combat de sorcières entre les diététiciennes et les nutrithérapeutes, je ne vais pas rentrer dans les détails mais c’est affligeant de réaliser que les hôpitaux servent une nourriture dépourvue de nutriments alors que les patients en ont tant besoin pour se requinquer, c’est capital et je pense que le problème existait déjà au temps de nos parents mais il y zéro changement. Zéro. On sait que c’est une question de budget mais il devrait y avoir moyen de faire mieux à budget équivalent…

Et puis il y a eu tous les aspects plus émotionnels…

Madame Remy, vous devez être convaincue que cette chimio vous sauvera. Il ne l’a pas dit exactement dans ces mots mais c’était l’idée. L’idée est que quand on est convaincu(e) des bienfaits de la chimio, et bien tout se passe mieux. J’étais 100 pourcent convaincue et tout à fait prête. J’étais convaincue parce que j’avais 200 pourcent confiance en Docteur Zen. La route de la chimio avec tous ses effets secondaires pénibles physiquement et psychologiquement sera longue mais j’ai confiance. Très confiance. Confiance en la médecine. Confiance en moi. Et confiance en ceux qui vont m’aider, ma famille, mes amis, les autres médecins, Éric et Xavier.

Didier. J’ai aussi confiance en Didier. Après un petit moment de silence, Docteur Zen m’a regardé, puis il a regardé Didier et il a dit :
« Votre mari est un bon mari, je vois ça tout de suite, ça va très bien aller. Vous savez, je sens tout de suite quand ça ne va pas aller pour les couples ». Quel genre de médecin dit des choses pareilles ? Un médecin qui a du cœur et qui sent les choses. On a évidemment parlé de l’intimité du couple qui serait plus que challengée et Zen a bien dit à Didier que ce n’était pas une histoire de sentiments mais une histoire d’hormones.

Tout pourrait être challenging pour le couple mais ce cancer ne fait que nous rapprocher. Stéphanie et les plus émotives, sortez vos mouchoirs… Didier m’a dit ce matin pendant que j’attachais mes cheveux en tresse « Ce petit crâne tout nu, cette cicatrice sur ton sein, je trouve que ce sont des symboles magnifiques de ton combat et de ton courage. Moi, je trouve ça extraordinaire, y a quelque chose d’unique, de beau et de très fort ». Comment voulez-vous que ça se passe mal avec un homme pareil à mes côtés ? Ça doit être terrible de vivre cette maladie seule. Je suis plus souvent la force et le pilier de Didier, mais dans ce cas-ci, il m’épaule avec une force et un positivisme extraordinaires. Lui qui a tendance à voir le verre à moitié vide voit la tendance s’inverser depuis l’annonce de ce cancer et j’en suis ravie. Je vous ai dit qu’il y a plein de choses extraordinaires qui se passent.

L’ambiance du 5ème. « Docteur Zen, il y a vraiment une ambiance très étrange et lourde au 5ème ». Je dis 5ème pour dire l’étage des chimios, il n’y a pas que des chimios au 5ème, je ne serais pas étonnée qu’il y ait des soins palliatifs pas loin. A vérifier. Peut-être que je me trompe. Y a vraiment une ambiance très lourde quand on sort de l’ascenseur. La première fois que je suis montée au 5ème pour rencontrer Docteur Zen, j’ai dit à Didier « Bilou, je sens que c’est l’étage des chimios, je sens quelque chose de tout à fait différent ». Comment aurais-je pu savoir que les chimios avaient lieu près de son bureau ? J’avais senti.

Docteur Zen dit que c’est un étage merveilleux où on peut respirer la vie, l’envie de vivre. Il a expliqué son ressenti de cet étage qu’il fréquente toute la journée, ça venait des tripes et c’était magnifique. Il m’a dit que j’allais faire de belles rencontres. Il m’a dit aussi que j’allais certainement apporter beaucoup de choses à d’autres patients et que j’allais également énormément recevoir des autres. Il y aura des gens qui souffrent bien plus que moi, c’est une école humaine extraordinaire. Je suis très émue quand je l’écris. J’avoue que je venais de lui demander s’il y avait moyen d’être dans une chambre privée pour ma chimio mais j’ai compris que oui, s’il y a une demande particulière et justifiée, mais sinon non car il faut absolument vivre l’expérience.

Je n’ai pas posé la question deux fois, d’ailleurs j’ai regretté de la lui avoir posée. Il m’a juste dit que si j’étais à côté de quelqu’un qui ma saoule, je devais lui dire et il me changerait de place. Je ne suis pas toujours d’humeur à parler et je préfère de loin le silence à la parole. Je lui ai posé la question de la chambre seule car j’ai un peu peur de me sentir forcée de parler à mes voisins. Docteur Zen a dit « Vous ! Ça m’étonnerait que vous n’ayez pas envie de parler à vos voisins ». Je peux être tellement « ours » quand il y a du monde, ceux qui partent en vacances avec moi peuvent le constater, j’ai besoin de m’éclipser quelques heures quand il y a trop de monde sinon j’étouffe. Quand nous avons de grands diners, cocktails ou évents mondains, j’ai besoin de partir de manière subite quand je sens que j’ai eu ma dose, et bien souvent quand ma dose est dépassée, j’étouffe et je fais de grands yeux à Didier pour dire « Bilou, faut qu’on se casse dans les 15 minutes sinon ça ne va pas aller ». Heureusement qu’il est juste comme moi et qu’il adore se coucher tôt.
« Quand je sentirai que j’ai besoin de calme, je mettrai mon Boze et j’allumerai la musique et tout ira bien. »

Ceci dit, j’ai déjà quelques idées pour mettre de l’ambiance au 5ème mais il faut que ça plaise aux autres patients. Je veux que tout le monde soit content, je leur demanderai dès que je me fais des copains. Pourquoi pas demander à mon frère Greg de venir chanter, à Paul de venir gratter sa guitare et chanter du Brassens, à Diane de chanter en portugais, aux sœurs J. de venir déplomber l’atmosphère en trois secondes ou à Didier d’amener quelques « energy bites » aux dattes et noix de coco pour toutes les personnes qui ont un petit creux ?

Il est temps que je termine mon blog, il est surtout temps que je ferme un peu les yeux pour être en forme quand j’atterris dans quelques heures.

Un petit mot pour maman qui était tout de même très inquiète que je fasse un voyage de 20 heures porte-à-porte deux semaines après une mastectomie et une semaine avant le début de la chimio. Je fais ce même voyage tous les trois mois mais cette fois-ci, elle trouvait que c’était une « idée de peintre » et que ce n’était pas raisonnable du tout. J’aurais été aussi inquiète qu’elle si c’était ma fille et j’aurais peut-être essayé de la convaincre de rester pour qu’elle se repose et ne se prenne pas un décalage de 7 heures dans les dents juste avant d’attaquer la chimio. Ma tante m’a aussi envoyé un message pour me dire que je devais être raisonnable.

Ça faisait très longtemps qu’on ne m’avait pas dit d’être raisonnable. Quand j’ai entendu et lu le mot « raisonnable », j’ai tout de suite pensé au Petit Prince qui parle des grandes personnes. Il dit que les les grandes personnes aiment les chiffres. Quand vous leur parlez d’un nouvel ami, elles ne vous questionnent jamais sur l’essentiel. Elles ne vous disent jamais: “Quel est le son de sa voix ? Quels sont les jeux qu’il préfère ? Est-ce qu’il collectionne les papillons ?” Elles vous demandent: “Quel âge a-t-il ? Combien a-t-il de frères ? Combien pèse-t-il ? Combien gagne son père ?” Alors seulement elles croient le connaître. Si vous dites aux grandes personnes: “J’ai vu une belle maison en briques roses, avec des géraniums aux fenêtres et des colombes sur le toit…” elles ne parviennent pas à s’imaginer cette maison. Il faut leur dire: “J’ai vu une maison de cent mille francs.” Alors elles s’écrient: “Comme c’est joli !” 

Alors, ça n’a absolument rien à voir avec ce que maman a dit mais le mot raisonnable m’a paru être un mot de « grandes personnes ». Evidemment que je vais me coucher tôt, évidemment que je vais me reposer et me remplumer, mais c’est mon cœur qui a fait le choix de partir, pas ma raison. Et ce choix du cœur est très raisonnable car ce voyage est excellent pour le moral et par conséquent excellent pour ma santé. Je comprends si bien son inquiétude mais Maman peut être rassurée. 

C’est mon « cœur » le chef d’orchestre de cette semaine (et de ma vie) et nous savons tous qu’il est très important que le « chœur » suive le chef d’orchestre pour que le concert soit un moment magique.

Si j’arrive à dormir comme la Chinoise derrière moi qui ronfle la bouche ouverte depuis le décollage, je serais encore plus heureuse que je ne le suis déjà !

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Fast forward… On est 5 heures plus tard. Je n’ai pas réussi à dormir, mon Boze avec l’option « noise canceller » n’a pas réussi à étouffer les ronflements épouvantables de la Chinoise. Du coup, je me suis dit que je regarderais volontiers un film et qu’avec un peu de chance je m’endormirais. Il n’en était rien, j’ai pleuré du début jusqu’à la fin sans avoir pu reprendre mon souffle une seule fois tant le film était émouvant et peut-être encore plus pour le moment car c’est l’histoire d’amour la plus merveilleuse et la plus tragique qui soit entre deux patients dans un hôpital. J’avais repéré entre les deux fauteuils que la nana devant moi regardait ce film et s’épongeait les yeux sans arrêt. Et comme j’adore les films qui touchent nos émotions les plus profondes, je voulais vraiment choisir celui-là plutôt que mon musical préféré The Greatest Showman qui m’émeut presqu’autant tant les musiques sont belles.

Le film commence comme ça… c’est à croire qu’il était juste pour moi tant j’ai écrit sur l importance du toucher…

Human touch, our first form of communication. Safety, security, comfort, all in the gentle caress of a finger or the brush of lips on soft cheeks. It connects us when we are happy and excites us in times of passion and love. We need that touch from the one we love, almost as much as we need air to breathe. But I never understood the importance of touch. His touch. Until I couldn’t have it.

Et puis à la fin du film, elle redit les mêmes phrases mais elle ajoute Touch him. Touch her if you still can.

 Voici le trailer.

C’est fou car c’est exactement ce que je voulais écrire comme phrase finale dans “Les Mains de Xavier” mais je ne l’ai pas fait. Caressez vos enfants, huggez vos parents, prenez la main de ceux qui ont besoin d’être rassurés, embrassez celui ou celle que vous aimez.

Le toucher est un des 5 langages de l’amour et j’y reviendrai car c’est tellement important, il est bien trop souvent sous-pratiqué et la raison de beaucoup de souffrances ! 

On atterrit, à tout bientôt! 

All my love to y’all

XO
Delphine

6 Comments
  1. Tes posts sont de plus en plus prenants. Ils me prennent aux tripes Delphine. Merci de partager et de nous faire vivre par l’écriture ce que tu vis. C’est un cadeau, une leçon de vie, d’humanité, de courAge. Tu nous prends par la main. Sache que par la magie du mot, tu est entrée dans ma vie et que chaque jour je pense, je prie pour toi. Je t’embrasse très fort. PS: tu viens d’arriver sur le continent américain et moi je quitte le Canada demain. J’espère que le film 5 feet apart sera joué 😉

    1. Coucou ma chere Sandy, merci pour ton si gentil message qui me va droit au coeur, tu ne peux meme pas imaginer. C’est rigolo, car je pourrais dire la meme chose, tu es rentree dans ma vie aussi par ce blog et je suis super heureuse d’etre connectee. On se connait si peu mais je reverais de vous voir lors d’un de vos retours au pays. On s’est effectivement croisees! J’espere que tu as passe de super vacances et que tu as pu profiter de ta famille et de tous tes amis. Tout plein de kiss and we keep in touch! As tu pu voir 5 feet apart?

  2. All my love to you, ma chère Delphine. Je t’envoie des arcs en ciel de tendresse. Continue d’écrire pour toi et pour nous. Sophie G

    1. Merci ma chere Sophie! Je prends tous les arcs en ciel que tu m’envoies! J’adore! Oh que oui, je continue a ecrire. Mais je ne te cache pas qu’avec la chimio, c’est devenu vraiment difficile avec les nausees et l’energie a zero. Une galere sans nom… Allez, on se voit avec la miss Diane? Tout plein de kiss D

  3. Chère Delphine, tes mots sont d ‘une justesse incroyable et nous vont droit au cœur , surtout, fais ce que tu sens et fie-toi à ton instinct ;
    fais bien le plein de tout, la-bas;
    moi aussi j’ai pleuré en regardant the greatest showman, avec des larmes qui font du bien , et j écoute très souvent les chansons qui sont pleines de belle energie 💓

    1. Merci ma chere Roxane pour ton adorable message! Ton soutien me va droit au coeur et me porte! Oulalala, je vois qu’on est des ames sensibles toutes les deux. Comme tu dis, des larmes qui font du bien! Je te conseille vraiment Six Feet Apart. Tout plein de kiss et j’attends avec impatience de te rencontrer en vrai!

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