Je gère pas toujours…

Je gère pas toujours…

Cancer, je gère. Cancer, je gère. Si vous saviez à quel point le titre de mon propre livre m’a perturbée ces derniers jours. Plus que perturbée, j’étais perdue.

Qu’est-ce que j’ai géré ? C’est quoi « gérer » ? Est-ce que j’ai géré la maladie ? Est-ce que j’ai géré les traitements ? C’est quoi « gérer un cancer » ? C’est quoi gérer une adversité, un coup du sort, un truc qu’on n’a vraiment pas choisi dans sa vie ?

« Cancer ? Je gère ! » sorti de la bouche de Didier, un matin de juin entre une gorgée de thé et une bouchée de pain.

  • Bilou, je cherche un titre pour le blog, je vais le mettre en ligne cet aprèm. T’as une idée ?
  • Je sais pas moi…
  • Allez bilou, t’es bon pour ce genre de choses. Pas Delphine Remy, le nom est déjà pris pour mon blog de nutri, pas cancer tout court, pas quelque chose en rapport avec des seins, j’ai aucune idée, un truc qui rime, je ne suis qu’au début du blog, je ne sais même pas quelle tournure il prendra, ni même si je publierai longtemps.
  • Cancer, je gère.
  • Quelle ponctuation ? Plutôt dans le sens « Moi un cancer ? Allez, je vais gérer ! »
  • Oui, c’est top.

Eh bien voilà : Cancer ? Je gère !

Est-ce que j’ai géré ? Pas tous les jours, pas quand j’étais révoltée, pas quand j’étais en colère ou découragée, pas quand j’étais terrassée par la solitude ou les larmes. Et puis, je sais pas au fond, est-ce que passer par tous ces états signifie ne pas gérer ? Je ne pense pas…

S’écrouler, tomber, être découragée et puis se relever, encore et encore. Toujours se relever et avancer. C’est plutôt gérer cela, non ?

Gérer un cancer, gérer un événement dur, un décès, une perte, une trahison ? Gérer L’ATTITUDE face à un cancer, à l’adversité, à un événement terriblement difficile. Voilà, gérer l’attitude, faire le choix de…, vouloir, se donner les moyens de…, se donner la possibilité de…, entrevoir la possibilité de transformer l’obstacle en tremplin. Peut-être pas tout de suite, peut-être des mois, des années après et peu importe. Chacun à son rythme. Selon son histoire.

Cancer ? Je gère !
Cancer ! Je gère ?
Cancer, je gère…

Je vous dis pas la prise de tête avant d’envoyer la couverture à l’impression… Ils sont tous valables, mais le choix définitif exprime un parti pris, une décision, une volonté. J’ai eu de nombreuses questions hyper intéressantes à ce sujet. Non, ce n’est pas un vademecum du cancer sinon je l’aurais appelé « Comment gérer son cancer » et je n’ai de leçon à donner à personne, ni « Cancer, vous gérez… ou vous allez gérer… », je ne peux rien promettre, ni affirmer même si je rêverais de promettre à celles qui sont au fond du trou que ça va aller.

Ce livre est le reflet de mon histoire personnelle, c’est l’histoire de mon parcours de résilience, de mes montagnes russes, de mes chutes, de mes remises sur pattes…
Mais j’étais perdue ces derniers jours, si perdue suite aux centaines de messages reçus. L’obstacle, le tremplin. Le « gérer ». L’espoir, celles qui en ont, celles qui le perdent. Ma mission avec ce livre et la visibilité qui m’est offerte. Moi, elles, les femmes ayant le même parcours, certaines à des stades plus avancés de la maladie, d’autres moins. La vie, sa dureté, ses joies aussi. Ce covid et les innombrables et épouvantables dégâts collatéraux. J’étais perdue. J’étais confuse. Très confuse.

La visibilité accordée à mon ouvrage n’est pas sans conséquence

La presse a été très généreuse en me proposant interviews, articles, vidéos magnifiquement montées, plateau télévisé, et je lui suis très reconnaissante car c’est grâce à elle que le livre se vend très bien, c’est grâce à elle que le message d’espoir arrive dans le cœur de nombreuses personnes au-delà des frontières, c’est grâce à elle que nous levons plus de fonds. Les réseaux sociaux sont aussi magiques dans ce sens que de nombreux groupes de discussions se sont créés autour de ce livre et des campagnes qui y sont liées. Je passe énormément de temps à gérer ces groupes, la communauté s’agrandit, les langues se délient, les femmes se confient, les mots sont mis sur les « maux », pour la première fois parfois. Certaines sont si seules et ont besoin de s’exprimer, d’autres sont des lumières qui éclairent celles qui sont dans le noir, c’est impressionnant. J’y reviendrai. Des choses merveilleuses s’y échangent, tant de choses merveilleuses, de l’amour à gogo, du soutien à foison, embrassades et baisers virtuels comme si nous faisions toutes parties d’un même clan, mais des choses terriblement difficiles s’échangent aussi alors je réfléchis.

Et oui, la visibilité accordée à mon ouvrage n’est pas sans conséquence, ni grande remise en question. Je n’avais pas mesuré cela et il y a quelques jours, j’ai plongé la tête la première dans une espèce de cafard sans nom…

  • Le cancer a pris ma fille de 44 ans, elle s’est battue pendant un an, je suis révoltée contre la médecine. Je vous laisse, je pars au cimetière.
  • Le cancer a pris ma moitié après 18 mois de souffrance. Je hais ce crabe.
  • Je suis une maman désemparée, désespérée, ma fille de 15 ans est atteinte d’un cancer, il lui vole les plus belles années de sa vie.
  • J’ai des métastases partout, j’ai la trouille, je perds espoir.

La liste n’est pas infinie, heureusement, mais elle est longue. Fatiguée par les multiples activités liées à la sortie du livre et plombée par quelques soucis plus techniques et organisationnels, j’étais hypersensible et je me suis écroulée.

Tu dois te protéger Delphine, tu dois vraiment te protéger, tu ne peux pas prendre le mal du monde sur tes épaules, tu ne peux pas sauver tout le monde, tu ne peux pas enlever la peine de tout le monde, tu ne peux pas guérir leur cancer, tu ne peux pas te sentir coupable d’être en rémission. Oui, on sait, elles se sont battues comme toi avec la même pugnacité… mais prends soin de toi.

C’est vrai, mais il n’en reste pas moins que je suis affectée, que je suis bouleversée de lire en si peu de temps autant de messages si durs. Le Réel…

Qui suis-je ? Que dois-je répondre ? Comment aider ? Comment rassurer ? Cancer, je gère, comment oses-tu Delphine ? Quelle injure vis-à-vis de ces personnes ! Comment peuvent-elles gérer des événements aussi tragiques. Je suis perdue… je ne sais plus quoi penser. La dureté de la vie, le caractère parfois inéluctable de la maladie, les épreuves qu’on a envie de qualifier d’inhumaines et pourtant elles ne le sont pas. Elles sont humaines, elles sont de ce monde, elles font partie de la vie. La vie est indissociable de la mort.

Life fucking sucks sometimes…

Qui n’est pas d’accord ? Franchement qui n’est pas d’accord avec ce postulat ? Comment peut-on voir la petite lumière dans la nuit ? La petite luciole ? Vous vous souvenez ces petites lucioles magiques ces nuits d’été ? Je les adorais… La lumière au bout du tunnel, le contour argenté du nuage gris, l’esquisse d’un rayon de lumière dans un ciel orageux ? Comment trouver de la joie, un tout petit peu de joie, ou beaucoup, malgré tous les « life sucks » ?

J’ai envie de partager ceci, je trouve que c’est intéressant parce que ça s’applique à la terre entière, c’est universel.

Ces groupes de discussions me font découvrir trois groupes de personnes

  1. Celles qui n’arrivent pas à se relever ou qui en veulent à la terre entière ou qui subissent ou qui se révoltent ou qui ne voient absolument pas la possibilité d’un changement, peu importe les raisons. Et attention, aucun jugement de valeur. C’est un constat à un moment précis et peut-être que le lendemain, les choses auront évolué pour ces personnes.
  2. Les personnes qui avancent, elles suivent leurs traitements, elles sont courageuses et elles souhaitent bon courage à celles qui commencent, à celles en cours de traitements et à toutes les autres.
  3. Et puis, dernier groupe. Lumineux ! Des espèces de lucioles dans la nuit, des petites boules de lumière dorée, des petits soleils, des porteuses d’espoir qui brillent de partout. En quelques propos, elles rayonnent sur tout le groupe en partageant la manière dont elles ont transformé l’obstacle en tremplin. C’est comme si leurs mots scintillaient sur mon écran. Certaines sont à des stades avancés de la maladie, certaines sont bourrées de métastases, certaines terminent leurs traitements, peu importe, elles rayonnent et apportent une espèce de lumière magique et un paquet d’espoir aux autres. C’est fou.

Du coup, je me demande si l’espoir est contagieux et j’ai vraiment envie de réfléchir sur le sujet.

Est-ce que l’espoir est contagieux ?

Qu’est-ce que je fais avec toutes ces infos, ces trois groupes, ces multiples messages, ces questionnements ? J’aimerais rester fidèle à mon message et continuer à clamer haut et fort ce message d’espoir, ce message d’optimisme, ce message de « VOUS AVEZ TOUS ET TOUTES DES RESSOURCES EXTRAORDINAIRES POUR FAIRE FACE AUX CONTRAINTES DE LA VIE » parce que oui, j’ai pu le constater dans des épreuves plus dures que celle du cancer, que c’est dans les moments les plus durs qu’on a les ressources les plus extraordinaires. Enfin, je vais rectifier, c’est pas toujours au moment-même… c’est parfois après le coup de massue qu’on les découvre. 

Ressources extraordinaires, insoupçonnées, insoupçonnables, loin loin loin à l’intérieur, ça vaut la peine d’aller creuser, ça vaut la peine de les chercher. Je pense à toutes ces personnes du groupe 1 et j’aimerais leur dire : accueillez le réel tel qu’il est, parfois atroce, dur, tragique, ne le niez pas, surtout ne le niez pas, ne l’ignorez pas, ne mettez pas une couche dessus pour ne pas le sentir, mais ne vous y perdez pas. Ouvrez-vous à la possibilité d’un changement. Un changement possible, une amélioration possible, une attitude différente qui changera votre regard sur la situation. Tentez de ressentir au plus profond de vous-même la fierté et le courage dont vous avez fait preuve quand vous vous êtes relevée après certains traitements, après certaines nouvelles difficiles, …. Je parle ici de la maladie, mais je pourrais étendre ce propos à tous les obstacles que nous rencontrons tous, et que nous allons rencontrer, parce que tant que nous sommes vivants, il y aura encore un paquet de combats à gérer. 

J’entends si souvent « On ne sera plus jamais comme avant. » Chaque fois, j’ai envie de répondre « Non, on ne sera plus jamais comme avant mais si on se focalisait sur comment construire quelque chose de beau après ? »

Et peut-être même faire de l’épreuve un tremplin

Un tremplin pour soi, pour être plus vivant, ou pour aider les autres, une conversation, un livre, une conférence, une inspiration, … et fêter, fêter toutes les petites victoires et se dire « Eh bien, voilà, je me suis encore relevée et pourtant c’était vraiment dur et j’ai cru que je n’y arriverais jamais. » Fêter, célébrer, capitaliser sur toutes ces petites victoires et ne jamais les oublier. Toujours s’en souvenir et ressortir les ressources acquises comme des petites armes magiques quand c’est parfois très dur.

Les retombées du livre ne sont pas faciles, elles perturbent mais elles me font avancer… Maintenant je vais répondre à la question « Est-ce que l’espoir est contagieux ? » Un énorme OUI car quand je reçois un message de la maman qui a perdu sa fille qui exprime combien le message d’espoir lui fait du bien et qui me demande même de mes nouvelles, je me dis qu’il faut continuer à répandre l’espoir pour toutes celles qui en ont vraiment besoin. Je parle au féminin car ce sont des groupes de femmes.

L’espoir, un vaste sujet, un futur blog, ou deux ou même trois. Le Larousse nous dit « Fait d’espérer, d’attendre avec confiance la réalisation de quelque chose ; espérance. » Je rajoute “quelque chose de positif, de beau, de meilleur, de plus juste, …”

Ce livre est une petite main tendue pour tout le monde, mais j’ai envie de la tendre davantage pour la personne sur 100 qui en a le plus besoin.

Voilà…

Et puis quoi après ?

Depuis deux jours, je me pose cette question « Et puis quoi après ? » 
Et puis, quoi après cette année de cancer ? Et puis quoi après ce livre ? Et puis quoi après tout ça ? Qu’est-ce que je fais de ce torse mutilé ? Est-ce que je le reconstruis ? Et moi, comment est-ce que je continue à me reconstruire ? J’ai 46 ans, qu’est-ce que j’ai envie de faire de la seconde partie de ma vie, enfin je devrais peut-être reformuler cette phrase parce que Confucius a dit : On a deux vies, la deuxième commence quand on se rend compte qu’on en a qu’une.

Le post dont on a déjà parlé… qu’est-ce que je fais de tout ça, de tout ce qui m’est arrivé ? Si je regarde vers le futur, qu’est-ce que je veux faire ?

Vous savez, vous ? Vous savez ce que vous voulez faire dans 5 ans, 10 ans ? Faut-il savoir ? Pfff… une question avec le verbe « faire », faire dans 5 ans ou plutôt être dans 5 ans ?

Je suis dans le « post », heureuse et parfois triste et paumée, la zone tampon. Qu’est-ce que je veux maintenant ? Et vous, vous vous posez souvent cette question ?

L’année de cancer est finie, le livre est fini, je ne suis plus l’héroïne de mon cancer, ni celle de mon livre, les activités liées à la sortie du livre se calment même si les groupes de discussions continuent et me prennent quelques heures par jour. Le calme que j’attendais arrive et se crée alors un nouvel espace pour réfléchir, comme les espaces créés par la force des choses pendant le cancer, ces périodes de réflexion entre les chimios, ces périodes de repos forcé où on s’arrête pour penser, penser au sens de la vie ou tout simplement pour juste Être dans le moment présent.

J’ai des projets, plein de projets que je me réjouis de vous partager dans les futurs blogs mais je veux m’accorder des périodes d’écriture car c’est réellement dans ces moments-là que je suis dans l’instant présent et ça m’a beaucoup manqué ces derniers mois.

Lots of love
XO
Delphine

2 Comments
  1. Bonsoir Delphine,
    Je t’aie lue avec beaucoup d’intérêt. En effet on te sent perdue après ce succès incroyable de ton livre.
    C’est déjà un exploit extraordinaire de l’avoir fait. Qui peut en dire autant et en faire autant?
    Normale que tu soit fatiguée de toutes les réactions.,entrevues, interviews , plateau radio et tv.
    Je n’aie qu’un conseil à te donner si toute fois tu l’accepte, “le recentrage”!….
    Recentre toi sur toi-même, à l’écoute de ton être, tout entier, de la nature autour de toi, du silence et de la sereinite automnale. Méditation et ressenti.
    Bonne découverte,
    Je t’embrasse, Cathy.

  2. Chère Delphine, le passage du Tremplin est sublime! Tout le monde devrait avoir le bonheur de le lire, malade ou pas malade 😻

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