La semaine dernière, je regardais un documentaire sur Netflix sur la vie de Dan Barber, chef renommé qui a lancé tout le mouvement « From farm to table » aux US. Ça me fascine toujours d’écouter des gens passionnés et passionnants retracer leur vie et partager avec enthousiasme la manière dont ils ont changé le monde. Ce qui me fait vibrer c’est leur pugnacité, leur engagement, leur travail acharné, leur courage d’aller à l’encontre des idées reçues et leur volonté de faire bouger les lignes. Il a fait de nombreuses conférences pour dénoncer la pauvreté des sols, les horreurs ingérées par le bétail, les cultures intensives de produits qui n’ont même plus de goût sans parler des propriétés nutritionnelles parfois réduites à zéro.
Ayant été traiteur et chef privé pendant des années, je sais à quel point ces métiers de bouche sont éreintants physiquement et mentalement. Les horaires sont pourris, la gestion des brigades est ardue et garder son sang-froid quand « c’est vachement chaud » en cuisine relève d’une grande maîtrise de soi et de confiance en soi.
J’ai adoré la manière dont il parlait de ses échecs et à quel point ils l’ont aidé à viser l’excellence. Bref, c’était très inspirant. J’ai eu les larmes aux yeux quand il a parlé du décès de sa mère quand il avait 4 ans, il partageait ensuite ses réflexions par rapport à un manque qu’il tente de combler en travaillant de manière acharnée. Manque d’une mère ou manque d’autre chose ? La question est restée ouverte. Puis il parlait d’une certaine tristesse en toile de fond, une tristesse à combattre au quotidien par l’action, par la création. Blourps, les émotions montaient encore et puis il poussait la réflexion un peu plus loin et se demandait si la vie n’était finalement pas qu’une succession de manques à combler. Qu’on comble ou pas d’ailleurs. Par l’action, la création, le travail, le sport, la fuite, des comportements pathologiques parfois… ou rien. Le travail d’une vie… Se connaître. Savoir comment on fonctionne et être ok avec ça. Ou savoir si on fuit perpétuellement quelque chose pour combler un manque. Des manques. Est-ce un problème ? Est-ce un problème si le manque permet de se mettre en mouvement, de créer, de faire bouger les choses, de s’accomplir ?
Il m’a vraiment interpellée ce chef. Quand je le voyais dans ses cuisines de ses restos de Manhattan et de Pocantico Hills dans l’état de NY, j’avais l’impression de voir une bicyclette en plein sprint. Faut pas qu’elle s’arrête sinon elle tombe. L’image est tellement clichée, je vous l’accorde, mais c’est comme cela qu’elle est apparue. Une autre image m’est venue ensuite, celui du funambule sur son fil, s’il ne réadapte pas son équilibre fragile en permanence, il tombe dans le vide. Il avait l’air fatigué ce grand chef de cuisine mais il avait l’air aussi heureux et passionné qu’épuisé. Rien ne peut l’arrêter, il incarne sa passion qu’il rêve de transmettre dans chacun des mets qu’il concocte tous les midis et tous les soirs pour ses clients, parce que Dan est en cuisine avec toute sa brigade tous les jours sans exception.
Toutes ces réflexions sur les manques à combler, les fuites en avant ou pas, les « juste milieu » à trouver… je me suis dit que toute la question n’est pas d’aller à l’encontre de notre nature profonde mais plutôt de se demander comment on se ressource.
Je n’ai pas fini le documentaire parce que c’était la dernière Grande Librairie avec François Busnel et je ne voulais pas louper ça. Je suis d’ailleurs bien triste de le voir partir.
Je suis allée me coucher et j’ai rêvé que je marchais sur une route sur laquelle il y avait des dessins de trous en trompe-l’œil. Vous avez probablement tous déjà vu ces artistes hallucinants dessiner des escaliers ou des trous plus vrais que nature sur des trottoirs et des passants les éviter. Dans mon rêve, les trous en trompe-l’œil ne l’étaient plus et je tombais dedans. Des trous sans fond. Des abysses. Du néant.
Chacun a ses petites théories personnelles et se raconte des histoires autour de ses rêves.
La 5ème opération de reconstruction approche à grands pas, le 12 juillet plus exactement, et dans mon monde idéal, j’arrête tout à partir du 12, je fais le vide dans ma tête, je gratte dans la terre avec le sourire, je vis dans l’instant présent, je cueille et mange les légumes de mon potager, je me repose, je lis, je lis, je lis, je fais tout avec une lenteur dont je me délecte, j’arrange de jolis bouquets d’épilobes sauvages, j’observe et photographie mes rainettes et mes abeilles et mon mental hyperactif se tait jour et nuit les 3 semaines qui suivent l’opération avant de réattaquer le boulot le 1er août. Et peut-être même que je me remets au piano, j’ai trouvé un morceau que j’adore et j’aimerais le travailler. Ce mode de vie post-op me séduit, il me tend les bras et j’ai la possibilité d’en faire toute l’expérience. Quel rêve !
Mais la nuit, je tombe dans des trous.
Et le matin quand je me réveille, je ne sais plus où je suis, je ne sais plus quel jour on est, ni même si je suis encore en plein traitement.
Je m’interroge souvent sur ces rêves de monde idéal et le contraste frappant avec ma vraie vie et je me dis que je ne suis pas très cohérente ou alignée. Une boule de paradoxes qui rêve d’une vie où le temps ne semble pas manquer, à vrai dire, où il semble même extensible à l’infini et puis quand la possibilité de s’arrêter est là, flippe à en tomber dans des trous la nuit et à se réveiller complètement déboussolée tous les matins. La vie est étonnante et riche. Comment se frayer un chemin à travers toutes ces désirs et besoins contradictoires et ces forces antagonistes qui nous habitent ?
S’arrêter n’est pas chose aisée pour tout le monde. C’est le vélo qui s’écroule ou le funambule qui perd l’équilibre et chute. Certaines personnes rêveraient de pouvoir s’arrêter davantage mais n’en ont pas la possibilité ; d’autres l’ont mais préfèrent rester en mouvement. Un juste milieu ? C’est quoi le juste milieu ? Le juste milieu entre passion qui nous vide parfois de toute notre énergie et ressources, entre création et repos, entre donner et recevoir, entre introspection et élan vers l’extérieur ?
Pas d’injonction au juste milieu, de toute façon il est perpétuel mouvement. Pas d’injonction à rien du tout d’ailleurs, pas d’injonction à s’arrêter d’une manière plus qu’une autre. Certains s’arrêtent en pratiquant la méditation ou le yoga, pour moi ces pratiques sont le meilleur moyen pour que mon mental fasse un sprint ; en revanche, le dessin, la photo, la musique, faire des bouquets, lire ou la marche (dans des espaces ouverts, je déteste les espaces fermés) me conviennent mieux pour « m’arrêter », ou en d’autres termes, me vider la tête et me ressourcer.
Un arrêt imposé par une opération, rien que la 7ème en tout, j’ai l’impression que ça devient presqu’un jeu avec moi-même. Allez Delph qui dit plus ? 8 ? 9 ? 10 ? Vaut mieux en rire qu’en pleurer. En principe, c’est la dernière et je m’en réjouis vraiment même si je suis anxieuse. Un arrêt imposé mais un arrêt que je m’impose aussi cette fois pour réfléchir. Vraiment prendre le temps de voir ce que je veux faire après parce qu’y a un truc qui ne tourne plus rond.
3 ans plus tard et puis quoi ?
51 épisodes et puis quoi ?
Je suis à la croisée des chemins…
Quand les gens me disaient qu’il était temps pour moi de sortir du cancer en mode injonction, j’avais juste envie d’aboyer et quand les gens me disaient que mon podcast me maintenait dans la maladie en mode « il est temps que tu tournes la page », j’avais juste envie de mordre. Chacun son rythme, chacun son engagement, chacun ses besoins, et surtout chacun ses putains d’oignons.
Maintenant c’est moi qui exprime un besoin. Il est temps pour moi de sortir du quotidien du cancer et je dis cela avec une pensée particulièrement émue pour celles qui en rêveraient mais dont la maladie ou l’étendue de celle-ci ne le leur permet pas. Tous ces précieux témoignages, toutes ces rencontres magiques dans le cadre du podcast me maintiennent par la force des choses dans la maladie. La mienne est passée ou dormante, peu importe, mais j’ai besoin d’être dans la vie. Je me sens la tête et le cœur complètement dans la maladie toute la journée en recueillant, lisant et visionnant les nombreux témoignages pour le podcast même si au fond ces derniers parlent avant tout de vie et même de lutte pour la vie parfois.
Je suis à la croisée des chemins…
J’ai mis tout mon cœur… En fait, je vais passer au présent, je mets tout mon cœur, mon esprit, mon temps, mon amour, mon énergie dans ce podcast. Je prends très à cœur la peine, les souffrances, les doutes, les émotions chamboulées, le chaos émotionnel parfois, et les joies aussi de chacun et chacune de mes invités. Quel cadeau, quelle richesse, quelle expérience. Probablement une des plus belles expériences de ma vie mais une des plus dures aussi quand on se laisse envahir par les émotions de l’autre ou quand on doit dire au revoir à des guerrières parties beaucoup trop tôt, qui se sont battues avec une telle pugnacité et qui auraient tout donné pour gagner un peu plus de temps avec leurs enfants. Je pense à ma chère Séverine, l’invitée de l’épisode 3, nous avions rendez-vous à la Ciotat cet été ; je pense à Christine avec qui nous devions enregistrer un épisode sur l’annonce de la maladie mais qui est partie 3 jours avant l’enregistrement ; je pense à Shasha, maman de Luca, 1 an ; je pense à toutes les autres qu’on a vu partir dans le groupe de soutien et dans la communauté Insta. La mort, la finitude, le temps imparti, la maladie qui gagne du terrain, tout cela fait cruellement partie du quotidien.
Je suis à la croisée des chemins…
Les opérations tous les 3 mois me maintenaient dans ce post-cancer et c’est ok. Personnellement, je trouve ça bien, on s’entoure de femmes qui vivent la même chose, on s’entoure de personnes qui gèrent aussi le chaos de l’après et on prend toutes ensemble le temps, notre temps, pour sortir de tout cela. Comme c’est précieux de ne pas se sentir seule. Mon engagement pour la cause m’a permis de traverser l’après en me sentant très entourée. Et d’ailleurs, je recommande fortement l’engagement auprès des personnes malades comme thérapie, en plus c’est un win win pour tout le monde !
Sortir de l’après… c’est un cheminement, chacun son rythme, on sort de tout cela quand on peut, comme on peut et si on peut. Pas à pas, en fonction de nos besoins.
Je suis à la croisée des chemins…
Il etait temps pour moi à la veille de mon opération de ranger toutes les livres, booklets, flyers, post-it, notes, cahiers, témoignages imprimes, to-do lists des podcasts… qui se trouvaient littéralement éparpillés dans toute la maison. Faire de l’ordre pour laisser place aux nouvelles idées et laisser un nouvel horizon se dessiner.
Je suis à la croisée des chemins…
Il est temps pour moi de donner une nouvelle orientation au podcast après avoir pris le temps de voir plus clair et de définir cette orientation. Pas de panique, l’aventure continue mais probablement un peu autrement, on reste dans le médical et la résilience bien sûr mais je réfléchis… Un ami est venu samedi soir pour m’aider à faire mon « Why* ». Certains pourraient me dire « M’enfin Delph, tu connais déjà ton Why ! » Bien, c’est pas si clair en ce moment, c’est peut-être un peu ça « l’après-après ». J’étais en roue libre, très engagée et passionnée mais une pause s’impose et je suis ravie de me prêter à l’exercice.
*Vous avez probablement tous entendu parler du WHY de Simon Sinek il y a quelques années.
D’ailleurs, je vous explique l’exercice du WHY ou « raison d’être ».
1. Je dois rédiger au minimum 5 histoires personnelles (j’en ai déjà 15 dans ma tête) en fournissant un maximum de détails. Ce sont des souvenirs (heureux ou pas) ou des événements qui m’ont marquée. Je dois essayer de commencer par des événements de mon enfance et de mon adolescence, puis de ma vie estudiantine et ensuite ma vie adulte. Je dois décrire ce que je faisais exactement, l’environnement (où c’était, qui était là?), l’époque, et surtout les émotions que j’ai ressenties à ce moment précis,
2. Je dois poser LA question à mes amis très proches (2 minimum). Pourquoi es-tu ami(e) avec moi ? Je peux décliner cette question en sous-questions. Qu’est-ce qui t’a poussé(e) à choisir d’être mon ami(e) ? Qu’est-ce qui me caractérise en particulier ? (c’est-à-dire éviter qu’il ou elle ne décrive les attributs de ce qu’est une amie en général).
3. Je revois Fred en août et il va m’aider à identifier des patterns, des convergences, des idées récurrentes et puis on fera ensemble la déclaration de mon WHY. Des exemples de patterns (en général) pourraient être : soutenir les autres, voir la situation dans son ensemble, repousser les limites, motiver les personnes, créer quelque chose de nouveau, expliquer pour qu’on comprenne bien… Ça paraît si simple mais c’est un exercice très puissant et je trouve ça bien de le faire avec une personne extérieure.
Un WHY comprend deux parties : Verbe (action) afin que/de telle sorte que (impact).
Suite au prochain épisode…
Voilà, je suis à la croisée des chemins.
Est-ce positif ? Oui et c’est dur à la fois. Je tombe dans des trous et j’ai les boules, je ne vais pas vous le cacher. La route semblait tracée, y avait quelque chose de rassurant. Je pensais pouvoir encore écouter des centaines de témoignages de cancer et pouvoir les poster des années durant mais la coupe est pleine et c’est jamais agréable quand il y a saturation. C’est comme le trop-plein du bain, c’est pas cool quand il déborde. On est un peu paumé, on le voyait pas venir et on bloque. C’est un peu le problème de ma vie aussi… C’est pas tout ou rien, c’est constamment tout ou tout et puis à un moment, le rien s’impose. Malgré moi.
L’opération arrive donc à point nommé, on va essayer de se frayer un chemin dans tous ces questionnements et croquer petit à petit le nouveau paysage de la rentrée. Bon, j’ai déjà une petite idée…
Il y a une chose qui reste néanmoins stable, c’est mon boulot chez Resilience (démarré il y a 4 mois). Je suis restée discrète par rapport à celui-ci mais je me réjouis de vous en raconter davantage le temps venu. J’ai découvert un univers très grisant, celui de la Health Tech avec des gens passionnants et passionnés. Au début, j’avais juste l’impression de courir derrière un TGV full speed sans jamais pouvoir le rattraper. Faut dire que, du haut de mes 48 ans, je suis largement la deuxième plus vieille de la boîte et en plus sortant d’un cancer. Ils courent tous plus vite que moi et l’ajustement n’était pas simple mais j’ai trouvé ma place et les projets sont excitants et innovants. L’univers de la télésurveillance et de la data en oncologie, de l’intelligence artificielle, d’une startup parisienne, d’une entreprise à mission, c’est une grande chance pour moi de pouvoir participer à un tel projet et d’apporter le regard et la voix du patient. La reprise sera donc le 1er août avec le tournage à Paris du programme d’activité physique adaptée (APA) pour l’App, un sacré challenge et un programme qui promet d’être tout juste extraordinaire et qui a été conçu en collaboration avec Ingrid de Biourge que beaucoup d’entre vous connaissent grâce au podcast 50 “Doit-on tous devenir des sportifs de haut niveau !?”
Les festivités de cet été ne seront donc pas très exotiques mais non moins excitantes.
Encore quelques examens de contrôle fin juillet, un weekend entre amis dans le Nord de la France, les quelques allers et retours sur Paris en août pour les tournages qui m’amusent beaucoup, une semaine en famille « on ne sait pas encore où » (si j’attends que Didier prépare, on ne partira jamais donc faut que je m’y mette), des enregistrements de podcasts avec des experts dont Isabelle Paelinck, tatoueuse professionnelle d’aréoles mammaires et voili voilou, un bel été sans grandes folies mais avec de belles perspectives, notamment celle de clôturer, je l’espère, le long chapitre de la reconstruction mammaire. Enfin presque car il y aura encore le tatouage dans 3 mois ! Un moment fort pour vraiment le clôturer !
Je vous souhaite un bon été et j’ai une pensée toute particulière pour celles qui sont en traitements.
Pour info, le podcast continue grâce aux interviews que j’ai déjà enregistrées ces dernières semaines, en revanche, je posterai toutes les deux semaines sauf si je décide de remettre les gaz mais pas dans les 2/3 semaines à venir.
Deux petites choses encore :
- Pour ceux qui le souhaitent, il y a toujours la possibilité de recevoir les podcasts directement dans votre boîte mail par ici.
2. Je vous ai concocté une playlist sympa pour cet été.
Je vous embrasse tous et toutes bien fort.