Suis-je à moitié femme si je n’ai plus qu’un sein ?

Suis-je à moitié femme si je n’ai plus qu’un sein ?

Ça fait un bail que je veux écrire un « post » sur la féminité mais mes doigts étaient paralysés devant le clavier. Le document Word nommé ‘Féminité’ était ouvert depuis 2 mois et j’y ajoutais une phrase ou deux, une citation, une observation ou l’autre, de temps en temps. Mes réflexions n’arrêtaient pas d’évoluer, ce qui m’empêchait de voir clair, de répondre à toutes les questions que je me posais et de vous présenter un article qui ne partait pas dans tous les sens… même si je pressens que vous aimez mes montagnes russes 🎢! J’avoue aussi que l’écriture de ce blog a remué pas mal de choses ; je me suis replongée dans le passé pour comprendre l’histoire de ma féminité, qui a été pour le moins chamboulée à cause d’années d’anorexie qui n’était autre qu’une pathologie de la féminité. Le sujet est complexe et les réflexions vont continuer à évoluer et probablement donner naissance à d’autres blogs sur le sujet.

Je ne voulais pas juste répondre à la grande question « le cancer du sein vient-il frapper la féminité “en plein dans le mille” », mais je voulais écrire un article qui ferait réfléchir à la féminité en général, pas que dans le contexte du cancer du sein. J’imagine que l’idée devait faire son petit bonhomme de chemin et aujourd’hui, je me lance. On verra ce qui en ressort…

Le sein est-il l’organe externe de la féminité ?

Le sein est-il, dans l’inconscient collectif, indissociable de l’image de la femme ? Lorsque ce symbole est atteint, la représentation de la femme est-elle touchée ?

Pourquoi ne pas commencer par un petit exercice que vous pouvez tous faire chez vous… Imaginez que vous imprimiez cet article, vous choisissez un crayon de la couleur de votre choix et entourez les réponses qui vous correspondent. Cet exercice est exactement le même pour les hommes et les femmes. J’avoue que j’aurais adoré récolter les réponses pour faire une petite étude sur le sujet. Donc à vous les hommes, et à vous les femmes, d’entourer vos réponses…

C’est quoi la féminité ? C’est quoi la féminité pour vous ?

Les cheveux, la silhouette, les seins, l’élégance, l’attitude, la voix, le sourire, l’intelligence, la gestuelle, la fragilité, la vulnérabilité, la part énigmatique de la femme qui la rend unique, la douceur, un mystère inexplicable, …

Une femme enceinte, une femme mure, une jeune femme, une femme aux longs cheveux, une femme avec ses enfants, une business woman, une femme frêle et fragile, une femme confiante, une femme forte, une femme pulpeuse, une femme libre, une femme avec une aura et un pouvoir inexplicable, une femme gentille, une femme sure d’elle, une femme sensuelle, une femme envoutante, une femme coquette, une femme brillante, une femme qui se sent belle, une femme discrète, une femme mystérieuse, une femme émotionnelle, …

Est-ce que notre féminité est amputée après une mastectomie ?

C’est vrai que c’était un peu la question avant la deuxième opération. Juste comme petit rappel, j’ai subi une première opération (tumorectomie) le 21 juin. Docteur Derek a fait ça comme un chef et dans la dentelle. Après avoir ôté l’équivalent de deux sashimis, il a reconstruit un sein magnifique, carrément plus beau que l’autre. Une semaine après, le diagnostic post-op a révélé qu’il fallait faire une ablation complète (12 juillet) car les marges de sécurité étaient pleines de cancer in situ.

C’était il y a si peu de temps et pourtant ça me parait déjà si loin. Je sais qu’il y a eu des moments difficiles et j’y reviendrai plus bas mais la première image qui « pop » est le regard de Didier sur la cicatrice le lendemain de mon opération. C’était un moment déterminant, a turning point. J’avais dit à l’infirmière que je préférais ne pas regarder. Je ne sais pas pourquoi, et d’ailleurs je trouve ça un peu étrange mais je sais qu’il y avait une part « Un jour à la fois, pas toutes les émotions le même jour, je me préserve, … ». Didier s’est levé et a dit « Moi, je veux voir ». Il s’est installé à côté de moi sur le lit pendant que l’infirmière changeait le pansement. A peine découverte, il a dit avec tendresse « Bilou, tu es encore plus unique et exceptionnelle qu’avant ! » Une phrase si puissante et magnifique. Comment ne pas s’accepter ? A chaque fois que je me changeais ou que je prenais un bain, il me le redisait et ajoutait qu’il trouvait même cette cicatrice très belle car il y voyait un symbole fort de courage et de résilience. Ses mots ont déteint sur mes pensées et je trouvais aussi que cette petite zone de combat était belle et symbolique. Son regard et ses yeux m’ont aidée à m’accepter et à me sentir belle. Je vivais ma féminité à travers son regard et aussi à travers celui des autres, comme par exemple Docteur Douceur qui me disait combien un petit torse d’amazone est si magnifique et combien nos boules à zéro nous vont si bien.

Même si tous ces petits moments magiques étaient déterminants, il y a eu des creux, des pleurs, des doutes, des questionnements, des moments où j’étais totalement paumée. Je relate sans ordre chronologique…

Je me souviens avoir trouvé le premier diagnostic post-op trop masculin, y avait un espèce de duo Derek-Didier où je me suis sentie complètement à l’écart et incomprise. Tous deux célébraient le fait que les ganglions n’étaient pas touchés et que donc, le pronostic vital n’était pas atteint. Compréhensible. Et puis il y avait moi qui pensais « Mais eh oh, dans quelle planète êtes-vous, retombez sur terre, on doit m’enlever tout le sein dans 15 jours, vous en faites quoi de cette info ?? » Je n’avais qu’une seule envie, c’était d’être dans les émotions et de parler de féminité. J’étais super triste et j’avais même dit à Didier qu’il ne serait plus le bienvenu car je voulais que ces rendez-vous à l’hosto ne soient pas que scientifiques et factuels, il y avait toute une part féminine et émotionnelle indispensable sinon on ne peut pas appréhender le phénomène dans son ensemble. Y a rien à faire quand les mecs sont en plus grand nombre, ça peut vite virer au « masculin » uniquement.

Il faudrait que je me replonge dans mes blogs car pas mal de souvenirs sont déjà si diffus. C’est comme si mon cerveau avait, malgré moi, déjà mis de l’ordre et « baqué » les souvenirs plus pénibles pour ne garder que ceux qui m’ont fait grandir, le cerveau est tellement surprenant. J’ai quelques souvenirs très précis et je relate ceux qui ont trait à la féminité puisque c’est le sujet qui nous intéresse aujourd’hui.

Je me souviens très bien être arrivée complètement à plat chez Xavier après la mastectomie, la cicatrice tirait, les bandes adhésives, collées sur des zones dont les nerfs avaient été charcutés, provoquaient des sensations tellement contradictoires que l’on appelle dysesthésie. Ça passait de l’anesthésie la plus complète à l’hyperesthésie et c’était physiquement et psychologiquement déstabilisant. J’avais dit pendant la séance de Reiki « Je me sens comme un petit garçon tout chétif et malingre du côté droit et une femme de l’autre, c’est une sensation physique et émotionnelle épouvantable. Est-ce que vous sentez ce déséquilibre ? Je ne vais pas réécrire le blog, je vous invite à le relire car c’est pour moi un des moments les plus forts du début du « cancer journey ». (Les mains de Xavier). Je suis passée du chaos émotionnel intégral et de la dure réalité de la maladie au réconfort le plus intense qui n’a pas juste duré le temps de la session mais qui me porte encore aujourd’hui.

Il y a eu aussi ces creux provoqués par les effets secondaires vraiment trash des premières chimios qui ont duré deux mois et demi. A ce moment-là, j’ai presqu’envie de dire qu’on se sent asexuée, les hormones sont à plat à cause de la chimio, il n’y pas plus de place pour la moindre attirance physique et notre corps ne nous appartient même plus, il est prisonnier d’une « camisole chimique » pour reprendre les termes de Marjorie Jacquet . Chauve, amaigrie, épuisée. La vision dans le miroir n’était pas toujours des plus glorieuses quand j’étais nauséeuse du matin jusqu’au soir et que je n’avais pas le cœur bien accroché.

C’est là qu’on se dit qu’Andrée Lehmann, une psychanalyste qui a travaillé 20 ans en cancérologie, n’a pas si mal dit quand elle compare le cancer du sein à une effraction. « Les maladies graves n’affectent pas que le corps. Les équilibres psychiques aussi sont touchés. Selon l’histoire personnelle de chacune, les répercussions du cancer du sein sur la féminité seront différentes. Souvent, elles entraîneront des remaniements psychiques importants. »

Et puis il y a eu les rendez-vous chez les plasticiens qui étaient très amusants à raconter par écrit, j’ai adoré tout tourner en dérision, mais ils étaient aussi terriblement déstabilisants. Docteur « 160 grammes », Ne dites plus jamais ça et Seins en silicone ou reconstruction par lambeau, faites votre choix !

Et puis l’anticipation de la chute des cheveux et du rasage de la tête. J’avais perdu mon sein mais la perte de mes cheveux semblait pour moi un dépouillement plus fort. Et puis ce sont les sourcils et les cils qui ne tombent que maintenant alors que mes cheveux repoussent par plaques, allez comprendre… et je peux vous dire que l’absence de sourcils donne cette impression de « masque du cancer ». Ce n’est pas facile, mais il y a tellement plus grave…

La joie reprend toujours le dessus...

Tant de moments et tant d’images qui mettent la féminité à rude épreuve, MAIS… les émotions positives et la joie reprennent TOUJOURS le dessus. Les moments de félicité ont largement compensé les moments durs. Très très largement. Dès que je sortais de la maison ou quand j’avais de la visite, je prenais beaucoup de plaisir à m’habiller, me maquiller les yeux (je me suis enfilé quelques tutos sur YouTube…), faire ressortir certains traits de mon visage, porter de jolis vêtements (et en acheter online 🙈),… Tous ces gestes de la vie quotidienne que l’on perd quand on se sent vraiment patraque. C’est tout bête vous savez, mais je le faisais pour moi, pour me trouver et me sentir belle. Se faire belle, c’est un cadeau que l’on se fait à soi-même.

Pour les cheveux, ou plutôt l’absence de cheveux, le premier fan est Didier, il adore et s’assure toujours que je ne porterai pas de foulard à aucun diner où nous allons. Willy aussi. Je crois qu’ils sont super fiers, c’est trop mignon. Je dois dire que j’ai trouvé formidable de recevoir autant de compliments. Quelle femme n’aime pas en recevoir ! Non mais franchement, c’est quand même agréable d’entendre qu’on est belle, qu’on ne voit plus que mes yeux, que le cancer me va finalement si bien (oui, oui, dit comme ça) ou que je n’ai jamais été aussi rayonnante. Ou même encore « C’est à se demander pourquoi elle avait des cheveux avant ou pourquoi elle veut les laisser repousser car cette coupe lui va à ravir ». Et puis il y avait des propos plus poétiques « C’est comme si les cheveux étaient un obstacle pour voir la beauté de l’âme. Quand une femme est chauve, on ne voit plus que ses yeux et on a directement accès à son âme. » Je trouve que toutes les femmes qui subissent de la chimio et se retrouvent le crâne rasé sont belles. C’est une beauté bien plus subtile, la beauté de leur force, la beauté de leur regard profond, la beauté de leur âme, la beauté de leur résilience.

Une sensation de liberté

Même si j’ai écrit que le corps était prisonnier d’une « camisole chimique » ou même encore quand j’explosais de frustration et de colère car je ne pouvais pas m’évader nulle part, je trouve néanmoins qu’on découvre une sensation de liberté, aussi paradoxal que ça puisse paraître. Pour la première fois dans ma vie, je ne courais plus après quoi que ce soit, je n’avais plus de compte à rendre à personne. Je me suis mis beaucoup de pression au début pour répondre à tous les messages puis j’ai tenté de lâcher prise et je le fais dès que je peux ou quand j’en ai l’envie et l’énergie. J’ai écouté mon corps, je mangeais seulement quand j’avais faim, je me couchais quand j’en avais envie. Le moins de pression possible.

J’ai appris à dire non, mais j’ai encore du chemin à faire, un sacré chemin. Ce cancer me demande de continuer mon apprentissage parce que je suis encore franchement débutante en la matière, je compte bien sur Xavier pour continuer à taper sur le clou. Il y a quelques semaines, j’étais en ligne avec Ludmilla et Géraldine qui étaient en route vers une mise au vert, je leur parlais de certaines « invasions » que j’avais eu du mal à gérer, elles m’ont toutes deux dit en chœur « Quand tu dis non à quelqu’un ou quelque chose, à quoi dis-tu oui ? » Quand je dis non à une visite/proposition/demande, je dis oui à ma santé… physique et émotionnelle. Je peux dire non sans me sentir égoïste ou culpabiliser. Je peux dire non sans blesser ou décevoir.

Ça m’amuserait que vous réfléchissiez à cette question et que vous trouviez un exemple pour vous aussi. « Quand je dis non, à quoi dis-je oui ? »

J’aimerais tout de même partager ceci avant de terminer le blog. J’ai pris un risque en partageant des propos si positifs par rapport à cette ablation. Propos qui pourraient attrister certaines femmes qui ont vécu cette expérience de manière tragique quelles qu’en soient les raisons (un mari peu compréhensif, un passé lourd, peu de soutien, …)

Un tournant…

J’avoue accuser un peu le coup maintenant… Je ne portais pas de prothèse externe jusqu’à cette semaine, j’avais un seul sein et j’assumais à fond, c’était mon histoire et j’étais fière du symbole physique. J’ai même pensé pendant plusieurs mois que je ne reconstruirais jamais. Didier était le premier à respecter mon choix, quel qu’il soit.  Aujourd’hui la situation a changé. Totalement changé. J’aimerais récupérer mon corps de femme et ce depuis un événement il y a quelques jours. Anodin peut-être mais pas pour moi, des courses entre copines où je me suis sentie en total décalage, rien ne m’allait, je ne voyais que la malade dans le miroir, je voulais être femme à part entière, comme elles, à l’intérieur comme à l’extérieur. Aujourd’hui, je veux récupérer une belle poitrine et me sentir plus féminine « physiquement ». La zone de combat me dérange et j’ai recommencé à porter de la lingerie « rembourrée » et ça me fait du bien.

La traversée est grande quand on y pense, de l’annonce de la maladie aux rayons en passant par les opérations et les 16 chimios, on se voit amaigrie, changer de peau, de visage, perdre nos cheveux, nos sourcils, nos cils et notre libido. Et pourtant, nous voulons à tout prix rester femme et habiter de toutes forces notre corps mutilé et malmené par les traitements lourds. Ces passages par « le fer, le feu et la chimie » comme dit le sénologue Dominique Gros érodent considérablement la féminité et le désir sexuel… Il faut être patiente et avoir confiance.

Docteur Derek avait parlé de l’importance de faire le deuil du sein d’abord avant de se relancer dans la reconstruction. Il y a plusieurs écoles (aux US, les femmes ressortent quasi toutes de leur mastectomie avec un expandeur) et je ne sais pas ce qui est mieux psychologiquement. Peut-être que mon deuil est fait, je veux passer à autre chose. Je dois juste patienter un peu plus d’un an car c’est le temps nécessaire après la fin des rayons pour que la peau récupère une texture prête pour une reconstruction.

Il faut se réapproprier une féminité, le cancer nous oblige à puiser dans nos ressources les plus profondes. Tout est en nous, la maladie qui marque une brèche dans notre vie peut avoir un rôle de révélateur ou de prise de conscience qui ouvre de nouvelles perspectives. J’accepte d’être patiente et de naviguer encore un peu dans une mer parfois houleuse avant d’atteindre des eaux plus tranquilles.

Belles comme nous sommes…

Je vais terminer mon blog par la petite histoire d’un petit ange aux talents artistiques hors du commun qui m’a envoyé un sms le 17 juin, jour où j’ai posté le diagnostic sur Facebook, me proposant de prendre des jolies photos de moi pour le blog. Elle avait déjà tout anticipé, bien avant moi, la chute des cheveux, la corps mutilé, les grandes étapes qui allaient taxer la féminité… Elle savait qu’un shooting cadeau et quelques splendides clichés m’aideraient à passer à travers ces petites tempêtes… Nous savons tous qu’il n’y a pas que ça mais ce que j’ai adoré, c’est tout l’amour et l’empathie avec lesquels elle a capturé des moments, des regards, des expressions. L’amour du métier, l’amour du beau, des paroles touchantes, des regards doux, un moment précieux passé avec elle en toute confiance et bienveillance. C’était et c’est un beau cadeau que je recommande à toutes les femmes qui passent par là et je la remercie encore de tout cœur. Cet ange s’appelle Amélie de Wilde, je vous invite à visiter son site qui représente magnifiquement son travail.

Docteur Douceur fait aussi de magnifiques photos sur fond noir pour ses patientes et je trouve cela magique.

Voici quelques photos de notre belle matinée…

Sept kifs pour terminer en beauté !

  1. Abondance de Caprice et Tentation, je jubilais… et petit cadeau de Did.

2. Dernière récolte de l’année… merci Didier !

3. Les fleurs hebdomadaires de mes belles-sœurs continuent à égayer la cuisine, la salon et la salle à manger. Elles sont devant ma porte à chaque retour de chimio, c’est magique !

4. J’ai une nouvelle ‘copine chimio’ que j’étais au bonheur d’accueillir au 5ème la semaine dernière, on s’est rencontrée via le blog et on a toutes les deux Docteur Zen comme onco. Vivement vendredi prochain !

5. Rencontre super sympa avec Hedwige de Duve qui a lancé le superbe projet Lovely Solidarity. Elle m’a apporté une tisane faite avec les herbes de son jardin, j’adore !

6. Allers-retours productifs vers la nouvelle maison et un chantier qui fonce. A peine le temps de dire que je déplacerais peut-être bien une cloison qu’elle est déjà par terre 😳… l’équipe est d’une gentillesse extraordinaire. Et Steph a déjà amené pas mal de plantes. Le nouveau nid prend forme petit à petit !

7. Je me suis approprié un nouveau petit coin de rêves où je passe mes fins de journée quand je ne suis pas sur le chantier.

La vie est belle !

XO

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