T'es comme un petit puzzle tout cassé

T'es comme un petit puzzle tout cassé

  • T’es comme un petit puzzle tout cassé.  
  • Didier, c’est vraiment touchant mais je n’ai pas envie d’être comparée à un petit puzzle tout cassé, j’ai envie d’être à nouveau une femme désirable et féminine. En un morceau. Pas toute cassée.

J’avais demandé à Didier de s’installer près de moi pendant que je prenais mon bain. Faut dire que c’était un peu casse-gueule avec le plâtre géant que Docteur Main avait façonné après l’opération. Le contour du bain est très large, glissant et potentiellement dangereux avec un bras et la cervelle complètement endormis à cause des anesthésiants. C’était donc plus prudent de demander à Didier de me tenir compagnie. Et puis, c’est tellement plus sympathique aussi. Louloute, qui a conceptualisé notre salle de bain, nous a dit que c’était très convivial de créer un grand contour de bain avec la possibilité de s’y asseoir pour tenir compagnie à celui qui se baigne. Je confirme. Et comme j’avais choisi un magnifique Blanc de Carrare, je savais que ce serait non seulement agréable mais en plus, splendide. Dans l’autre maison, je m’installais à terre ; dans celle-ci, je m’installe sur le beau marbre en ramenant comme toujours mes jambes contre mon torse.

C’était vraiment adorable de me comparer à un petit puzzle tout cassé et surtout, c’était dit avec une affection et une douceur sans pareilles. Plutôt que d’accueillir ce moment d’une extrême tendresse, enfin je l’ai quand même accueilli, je me sentais encore plus cassée en mille morceaux. Une patte plâtrée tenue en l’air et foutue pour un mois (avant d’attaquer la seconde), la zone irradiée complètement brûlée et commençant à peler par lambeaux, deux poils sur le caillou même si ça repoussait bien dru (et roux…), un corps n’affichant pas beaucoup de réserves, une peau bien blanche de l’hiver… franchement pas terrible quand il n’était pas couvert d’un joli petit jeans comme on aime et un pull couleur peps.

J’aurais peut-être dû demander au coupeur de feu de continuer à m’envoyer des ondes positives après la fin des rayons. C’était légèrement rouge et je présentais un peu d’urticaire pendant la deuxième semaine de traitement mais rien d’alarmant. C’était légèrement plus marqué pendant la troisième semaine mais la radiothérapeute m’a confirmé que ça n’avait pas une mauvaise tournure… J’avais néanmoins un pressentiment que ça allait encore continuer à rougir/chauffer mais je n’ai rien dit. J’avoue que si je devais y repasser, je ferais les choses un peu autrement et je me permets de l’écrire ici pour les « suivantes » car les hôpitaux n’arrivent pas à se mettre d’accord sur les crèmes à utiliser pendant la radiothérapie. On n’entend pas vraiment des choses contradictoires, mais plutôt des points de vue un peu différents. Ma radiothérapeute m’a conseillé des crèmes très hydratantes de laboratoires que vous connaissez tous mais pas spécialement des crèmes « spécial brûlures », alors que d’autres hôpitaux conseillent des crèmes pour les brûlures dès la première séance. Allez comprendre, à refaire, je choisirais la deuxième option et je prendrais aussi plus soin de ma peau (et donc de moi…) pendant les rayons. Y avait tellement de choses, le déménagement, les caisses, les allers-retours à l’hosto, je ne prenais pas le temps de me badigeonner de crème deux ou trois fois par jour parce qu’en plus ça colle et c’est désagréable. Même si deux à trois fois par jour n’était pas une recommandation dictée par l’hôpital, je sais que je n’ai pas assez hydraté ma peau. Résultat : mon demi torse s’est enflammé la semaine qui a suivi les rayons et a atteint son pic pendant la semaine de ski. C’était cramé de chez cramé avec l’apparition de petites cloques que la cortisone et les antihistaminiques (prescrits entretemps par le radiothérapeute de garde) n’arrivaient pas à calmer.

Pas grave, aujourd’hui, j’ai récupéré une peau de bébé, mais c’était un peu incommodant et particulièrement triste quand le chirurgien numéro 4 m’a demandé de me déshabiller.

  • C’est quoi ça ? (en montrant la zone irradiée l’air de dire c’est irrécupérable)
  • Ben, c’est la peau qui est brûlée à cause des rayons.

Il est con ou quoi ? Il est vraiment très très con ou quoi ? Ah ben non, je me suis foutue sur une plage à Sharm El Sheikh et j’ai exposé mon ex-sein jusqu’à la cramure. Ce mot n’existe pas mais je l’invente. J’étais furieuse et franchement décomposée. C’est quoi ça ? Est-ce si compliqué de dire quelque chose d’un peu gentil ? Dans le genre « Oh, je vois que les rayons ne vous ont pas épargnée. Ça va aller vous savez. Je vous conseille la crème hydratante de chez un tel. Gardez confiance, dans peu de temps vous allez récupérer une peau de bébé. »

Vous trouvez cela si compliqué, vous ? J’ai même pas envie de lui donner un petit nom à celui-là, il n’en mérite même pas et pourtant il n’était pas si méchant, il était rien-tout-court et c’est bien ça le problème ! Je rectifie tout de même un peu et j’avoue que je prends un risque en m’exprimant si ouvertement, il était menteur et ça, ça ne passe pas. Il m’a pris pour une tarte et je déteste ça. Ceci dit, au lieu de claquer la porte et de me dire « quel triste sire », j’ai pleuré sur tout le trajet du retour. Le trafic et la pluie battante n’ont pas aidé, je suis restée bloquée à l’arrêt pendant 15 minutes sur un rond-point qui est déjà galère en-dehors des heures de pointe. Il était 19 h 30, j’avais l’impression d’être au bout de ma vie. Le post-rayons offre une multitude de secousses imprévisibles et inattendues. Ça monte et ça descend mais vous connaissez la musique. L’épuisement par moment, tous les petits « à côté » du cancer, ces rendez-vous chez les plasticiens qui retournent le couteau dans la plaie de la mutilation, les douleurs aux mains, les attelles, la peau brûlée, le déménagement, le départ quelques jours plus tard alors que je venais d’emménager, c’était trop. Le mensonge et me prendre pour une abrutie ont été la goutte qui a fait déborder le vase.

Par souci d’anonymat, je ne vais pas mentionner tout de manière très explicite mais vous comprendrez la mauvaise intention de ce chirurgien parce que ça peut arriver de tomber sur des personnes qui ne nous font pas du bien alors qu’on a particulièrement besoin de douceur au bout de la longue route. On s’en remet très bien et en plus, ça renforce…

J’étais vraiment « en mode reconstruction » depuis l’histoire du petit puzzle, les choses ont changé quelques semaines plus tard. Nous avons donc parlé de ce que je voulais, des différentes options de la reconstruction mammaire en général et de l’unique option possible pour moi, les autres donneraient des résultats vraiment moches selon lui. Il n’est pas le seul à le dire.

  • Et vous pratiquez aussi cette technique, je pensais qu’il n’y avait que Docteur « Je maîtrise toutes les techniques » qui la pratiquait.
  • Oui tous les jours.
  • Tous les jours ? Dites donc, l’opération dure une plombe, vous ne devez pas avoir beaucoup de temps pour pratiquer autre chose alors ? (désolée chirurgien numéro 4, je sens que tu me racontes des bobards…). Que faites-vous d’autres ?
  • Toutes les chirurgies esthétiques.
  • Tous les jours alors une opération aussi longue ? (je ne supporte pas le mensonge même si parfois il est pieux… ce qui est important dans le choix d’un plasticien, c’est de s’assurer que le bonhomme a de la bouteille et un paquet « d’heures de vol »)
  • Allez non, pas tous les jours. Tous les deux jours. (faut être précis mon petit monsieur, ça fait la moitié… la deuxième chose importante dans le choix, c’est la confiance)
  • Comme vous pratiquez cette technique tous les deux jours, j’imagine que vous avez un paquet de photos (y avait un énorme iMac 27 pouces devant lui et j’en avais aussi un tout aussi grand me faisant face, juste à côté de moi. J’imagine qu’il avait installé ce magnifique matériel flambant neuf pour afficher sur mon écran les photos de ses réalisations, qu’il projette à partir du sien). Pouvez-vous me montrer des photos avant/après de jeunes femmes qui ont mon gabarit ? (tout bon plasticien a une collection de photos, c’est un peu comme le book de l’artiste, ça permet de tout de suite savoir à qui on a à faire)
  • Je n’en ai pas, je viens de changer d’ordinateur. (tu me prends vraiment pour une cruche…)
  • Mais Docteur, c’est un Mac, tout se transfère automatiquement avec le Cloud. (même ma tante de 80 ans qui met encore la camera à l’envers pendant les Zoom sait ça)
  • Pas chez moi. (Rooo mon pauvre, ça va être difficile de te sortir de ton merdier de mensonges, je vais quitter pour rester courtoise et éviter de te dire ce que je pense… ce n’était pas super agréable pour moi et finalement ça m’a fait beaucoup de peine car ces rendez-vous sont déjà suffisamment déstabilisants)

En fait, je vais vite balayer la fin parce que ça ne vaut pas la peine de s’y attarder, il a dégainé son iPhone (encore un produit Apple donc il connaît la magie du Cloud) pour me montrer quelques photos (5/6) que je n’ai pas réussi à voir car son téléphone était trop loin malgré que je lui demande de le rapprocher, ça aussi c’était bizarre. Il scrollait les quelques photos à une telle vitesse que les images étaient floues. J’ai entraperçu une photo pendant une opération « Vous voyez, je pratique cette technique tous les deux jours », puis il l’a fait disparaître tout de suite.

  • Merci pour cette consultation, je vous tiens au courant alors. Je vous dois combien ?

J’ai fermé la porte en sachant que je ne le reverrais plus jamais. J’étais fatiguée et j’ai pleuré tout le trajet, je trouvais que c’était tellement regrettable. J’avais envie de « vrai » et de connecter avec la personne. Putain, c’est dur ce qu’on vit, il devrait être bien placé pour le comprendre. Après ce long voyage, on n’a vraiment plus envie de perdre son temps avec des choses ou des personnes qui n’ont rien d’authentique. Et je dois le dire et le redire parce que je suis un peu remontée, la reconstruction mammaire est malheureusement abordée par la plupart de ces artistes du bistouri comme un acte purement technique. C’est regrettable. Ne mettez pas la barre trop haut… C’est tout ce que je peux conseiller aux femmes qui devront un jour aussi faire leur petit marché.

Mon récit du post-cancer ne respecte pas une chronologie parfaite et on s’en fout, je veux vous partager toutes les émotions éprouvées après les rayons. J’avais envie d’écrire au bout de la longue route, du long voyage, de la grande traversée, après les ballottements multiples des montées et des descentes, après les virages à 180 degrés et les périodes calmes des mers d’huile. Mais ce sera pour plus tard, un autre billet. Le billet du bilan…

Comme vous le savez, nous sommes partis au ski avec « nos amis de toujours ». Je ne l’ai pas dit à l’époque mais l’idée même de faire mes valises m’épuisait à un point que vous ne pouvez même pas imaginer. J’étais vraiment lessivée avant notre départ et je prenais sur moi pour n’embêter personne. En plus, un ami américain (notre ancien informaticien quand nous habitions à Houston qui est devenu un bon ami) est venu me rendre visite pendant un tour qu’il faisait en Europe. Malgré mon insistance, il n’a pas capté que la période n’était vraiment pas idéale pour me faire un coucou. Nous avons quand même passé une excellente soirée mais j’étais sur les genoux. Je n’avais pas envie de dire que j’étais exténuée par moments et puis il y avait une certaine incompréhension de la part de mes kids. C’est vrai finalement, j’avais terminé mes traitements, j’étais guérie, pas de raison d’être sur les genoux, et puis, une maman, c’est jamais fatigué, n’est-ce pas ? La semaine qui a suivi les rayons, je m’écroulais régulièrement sur mon lit et je ne bougeais pas d’un iota, j’en étais bien incapable, j’attendais que le coup de mou passe. C’était impressionnant et j’avoue que je n’avais aucune idée si ces moments imprévisibles allaient se compter en semaines ou en mois. C’était l’inconnu. Ma copine Caro m’a dit qu’elle avait mis un an à se remettre de son année de traitements, j’avais tant de choses à vivre, il était hors de question que je sois une larve pendant douze mois.

Je vous passe l’épisode des injections de cortisone dans les poignets qui a eu lieu la veille du départ, on a bien ri avec l’anesthésiste, on a même eu des fous rires, mais milliard, ça faisait un mal de chien et ça n’a rien changé, les douleurs ont empiré après. Allez comprendre, alors qu’une très large majorité des patients voient disparaître leurs douleurs, les miennes se sont amplifiées. C’est comme ça… Il y a eu les rires aux éclats en salle d’op et puis une heure plus tard, des pleurs incontrôlables quand je me suis retrouvée dans ma petite cabine totalement incapable de me rhabiller avec mes deux mains endormies, crevée, toute seule sans personne aux alentours pour m’aider. Je me suis assise pendant une demi-heure et j’ai pleuré. De toute façon, je n’étais pas pressée, je ne pouvais pas conduire avant que mes mains ne se réveillent. Didier aurait dû venir, une leçon pour les « suivantes »… C’était très perturbant, ces rires francs, réels et si concrets et une heure plus tard, l’impression qu’on ne va plus se relever terrassée par l’épuisement et la tristesse. C’est l’ultra-hypersensibilité à tout, comme si le cancer avait érodé tous les petits coussinets autour de chaque cellule du cœur qui aident à amortir les chocs émotionnels. Tout était à vif, les joies comme les peines. 

Valises faites, en avant go… On a démarré de bonne heure pour éviter le trafic mais ça n’a rien changé, on se l’est quand même tapé. Waze perdait les pédales et nous proposait un itinéraire de 16 heures en faisant tout le tour du lac. Pas grave, on était cool sans enfants et la fatigue se faisait moins sentir. J’étais juste frigorifiée malgré le siège chauffant puissance maximale. Quelques stops chocolat, café pour me donner des coups de fouet, chips apéro, lunch, … et nous voilà arrivés vers 19 heures. Bon petit champagne au frais et la joie de se retrouver. Alors que deux jours avant, je pensais que l’escapade allait être une mission impossible, j’étais heureuse d’être là. Si je vous raconte toute la semaine, j’en ai pour 10 pages, mais je relate les points forts.

J’ai skié les deux premiers jours comme si rien ne s’était jamais passé. Rien. Pas de cancer. J’avais une pêche d’enfer, la vitesse m’enivrait, l’air de la montagne me rendait euphorique, les champs de bosses me faisaient rebondir de joie, le vent à décorner les bœufs à certains sommets et les flocons tels des gifles avec la vitesse me rappelaient sans cesse que j’étais vivante. J’étais en vie ! Pleine de vie ! Quelle expérience ! Mes attelles étaient en place, je n’arrivais juste pas à porter mes skis, ni attraper l’ancre car ça me donnait des décharges électriques dans chaque doigt, mais Didier était là. Je n’avais pas du tout mal en skiant (Docteur Main m’a bien expliqué pourquoi), c’était une autre paire de manches quand je rentrais du ski, la douleur refrappait mais les nuits étaient bonnes grâce au cocktail Lyrica/Ibuprofen.

On a tant de ressources qu’on ignore, mais elles semblent tout à coup inexistantes quand tout bascule. Une image, une musique, une phrase, un regard et les larmes envahissent les yeux, la gorge sert et le cœur est dans un étau. C’est ça aussi le post-rayons, tout peut basculer si vite. Dans un sens comme dans l’autre. Voir la poitrine de mes copines dans leurs vêtements techniques et regarder mon torse déséquilibré. Se rendre à un apéro où toutes les femmes s’étaient joliment arrangées après avoir tenté de faire de même mais ma petite prothèse en mousse ne se mettait pas bien. C’est pas grave une prothèse qui se met mal, en plus j’en portais une tous les 36 du mois, mais ce soir-là, je voulais me sentir comme les autres femmes. Ce soir-là, c’était très grave une prothèse qui se met mal. Le lendemain, ça ne l’était plus.

Aurais-je un jour pensé qu’avoir deux seins était une chance dont j’aurais pu (dû…) être consciente et que j’aurais pu (dû…) chérir ? Le décalage était parfois difficile. Certains jours, certaines heures, certaines minutes, y avait elles et puis y avait moi. Amputée. A l’heure où je vous écris, les beaux jours ont pointé le bout de leur nez, j’enfile des petites robes d’été, mon bikini et c’est franchement très dur…

La semaine de ski était parsemée de petites et grandes joies : les fous rires pendant les jeux de société, les souvenirs remémorés, les premières blagues sur le coronavirus car on était à mille lieues d’imaginer les ravages qu’il allait faire, les raclettes et les fondues, une poudre toute douce jusqu’aux genoux, les rires aux éclats suite à nos chutes dans cette poudreuse difficile à manœuvrer. Le son enfoui des pas dans la haute neige, je ne pense pas qu’il soit nécessaire de le décrire, vous l’entendez ? De la neige en veux-tu, en voilà, c’est comme si la neige neigeait, c’était magnifique.  

Le post-cancer, c’est ça… Trouver une vitesse de croisière, être patiente, accepter que les nouveaux repères et la nouvelle réalité prennent du temps à s’installer et c’est parfaitement ok. Pendant un moment, on se retrouve un peu perdue dans cet entre-deux intense. Un espèce de « no man’s land ». Je vais continuer avec ce pronom « on », nous toutes qui sommes passées par là. On a fini tous nos traitements, nos cheveux repoussent, on semble guéries même si on est mutilées, on n’en parle plus du cancer, l’entourage semble même avoir oublié et c’est très bien, mais il a créé au plus profond de nous-même un tsunami émotionnel, un véritable raz de marée qui a radicalement changé nos vies. On ne sera plus jamais comme avant. Il faut un peu de temps pour que cette phrase résonne joyeusement dans nos têtes.

Dernier petit dîner au chalet. Tchin tchin. Merci pour la super semaine. Quelle belle neige nous avons eue. Delph, on t’a jamais vue aussi cool et détendue que depuis ce cancer. Ah bon, j’étais si chiante que ça avant ? C’était trop sympa de passer une semaine avec vous. On remet ça l’année prochaine ? Vite une petite photo avant de partir. On se retrouve sur l’aire (je ne sais plus) pour une bonne choucroute ? Si on « confinait » ici au chalet le temps que cette affaire de coronavirus passe ? Alors quel est notre prochain voyage ? On se le fixe déjà ? 25 ans de mariage tous les 6 ? Le Japon, qui est emballé par le Japon ? Moi, j’en rêve depuis toujours. Qui ramène le reste des confitures, des fromages, du jambon ? Qui veut des œufs durs pour la route ? Quelqu’un a bien déposé les poubelles au village et hop, voici le dernier cliché !

J’ai foncé chez Docteur Main 3 jours après mon retour car les douleurs étaient devenues intolérables. Canal carpien bilatéral plus que re-confirmé et cas opérables. On ne discute pas. Je voulais tenter l’acupuncture avant mais Docteur Zen ne voulait pas commencer l’hormono tant que ces opérations n’étaient pas derrière nous. Pas le temps d’essayer d’autres possibilités moins invasives. L’hormono n’attend pas, le protocole est strict. Si une petite cellule devait encore être là, il ne faudrait pas qu’elle ait le temps de se multiplier. Oulala, tout allait de nouveau très vite. Docteur Main a proposé le lendemain pour la première main et pourquoi pas finalement, mon programme n’était pas chargé. La grande question était le livre. L’écriture du livre. J’avais spécialement appelé la secrétaire de Docteur Main pour lui demander si je pouvais reprendre l’écriture une semaine après l’opération. Oui, oui, aucun problème avec votre attelle. Rien du tout ! Docteur Main était contre et assez tyrannique. J’étais tiraillée et le bon sens allait m’aider. Dans un moment d’énervement, il a quand même dit

  • Je m’en fous de votre livre.
  • Mais c’est mon projet de vie.
  • A 45 ans, un projet de vie. Allez allez.

Delph, tu gères, retiens tes larmes. J’étais super triste mais il valait mieux me taire pour que la relation se passe au mieux. Et je le comprends aussi, il voulait certainement me recadrer voyant le personnage à qui il avait à faire… Peut-être aussi voulait-il que je puisse reprendre mon livre le plus vite possible. Je devais donc respecter ses ordres. Il est un peu bourru et nerveux et puis, le coronavirus commençait petit à petit à rendre le boulot des médecins un peu compliqué donc le climat ambiant était un peu électrique.

L’opération s’est très bien passée. On a de nouveau ri comme des baleines en salle d’op. Docteur Main a fait un lapsus géant qui nous a tous plongés dans des fous rires, c’est si bon. J’ai quand même demandé à Docteur Sommeil de me balancer une petite dose de Propofol (dont Michael Jackson a malheureusement abusé) car il n’avait pas pu m’endormir tout le bras à cause d’une urgence (une fausse couche) qui l’a interrompu dans son travail. « Allez’ y, allez’ y, c’est bien plus important, on s’en fout de mon bras. »  Résultat : c’est Docteur Main qui était vite venu m’endormir juste le poignet, au lieu du bras, le garrot m’a donc fait un mal de gueux. Le Propofol m’a plongée dans un mini sommeil (du juste) pendant 15 minutes, le temps que Docteur Main termine son travail sans que j’aie l’impression de perdre mon bras.

Et voilà, et voilà, et de un ! A part que 3 jours plus tard, je présentais tous les symptômes d’une algodystrophie* naissante et je peux vous dire que si le cancer est une expérience extraordinaire dont on peut retirer tant de choses qui rendent la vie plus précieuse encore, l’algodystrophie n’apporte RIEN. C’est juste l’horreur. Allez oui, peut-être une pratique de la résilience dans toute sa splendeur, mais à quel prix… L’algo (j’abrège), c’est vraiment la merde ! Je ne vais pas me lancer dans un cours de médecine pour vous apprendre ce que c’est parce que le phénomène est méconnu mais quand on commence à en parler, on se rend compte que des personnes pas si éloignées ont vécu cette horreur, à des degrés divers. J’ai vu ma mère souffrir pendant des mois alors je savais ce que c’était.

“ L’algodystrophie, ou Syndrome Douloureux Régional Complexe (SDRC), est caractérisée par une douleur continue d’une région du corps, la plupart du temps à l’extrémité d’un membre. Celle-ci peut être spontanée et/ou provoquée.
Elle apparaît disproportionnée en durée et/ou en intensité par rapport à l’évolution habituelle du traumatisme responsable. La douleur ne correspond pas à un territoire neurologique circonscrit ; c’est la raison pour laquelle intrigue les médecins.
Elle s’associe à des manifestations telles des changements de coloration de la peau, de sa texture, des sueurs, des modifications motrices, de la sensibilité nerveuse de la région douloureuse, avec une limitation des mouvements qui entraîne une raideur, des modifications de la température cutanée avec une chaleur ou un refroidissement de la zone anatomique.”

Bras en feu, pesant 3 tonnes, impossible à porter tant il est lourd, douleurs nerveuses, gonflements au point d’être écrabouillé dans l’attelle et j’en passe. Mais bien plus que la douleur, il y avait le désespoir de ne plus pouvoir écrire mon livre parce que cet enfer peut durer des mois et des mois. Oui, mon projet de vie, ce que j’aimais le plus au monde et puis l’échéance approchait, je n’avais pas le choix. « Mais tu peux dicter à ton ordi. Mais, non, on ne dicte pas à un ordi quand on retravaille des textes. »

Xavier avait dit « vous serez encore plus créative ». Je pense que je l’aurais été et puis il y avait peut-être encore une expérience à vivre. Il y avait le piano aussi, j’étais triste. Et très angoissée. Ne pas pouvoir mener mon projet à bien était inconcevable, même si une petite partie de moi pensait à ce que Xavier avait dit sagement. Accueillir cette éventualité et à la fois se demander pourquoi le sort était si cruel. Ce n’est pas incompatible. La mastectomie, la chimio, les rayons, le syndrome du canal carpien bilatéral, l’algo… C’est peu fécond de se dire que c’est injuste, c’est comme ça. Docteur Main n’était pas content, les chirurgiens détestent l’algo car ils ne contrôlent pas, il n’y a rien à faire, il faut juste être patient et ne pas y penser (je vous jure…). « Si vous y pensez, c’est vous qui allez empirer le phénomène. » Un peu difficile quand on a vu sa mère galérer pendant des mois…

J’arrive au plus important de l’histoire. Une session chez Xavier, ses mains enveloppant délicatement la mienne pour calmer l’incendie et la douleur. Le feu a cessé quand j’ai fermé les yeux sur la table de Reiki. Plutôt que de peser 3 tonnes, mon bras flottait dans du coton avec une sensation de fraîcheur. Quel répit si agréable. Extraordinaire. Et une session passionnante chez l’acupuncteur (il travaille en miroir et traite donc l’autre main), sensation différente mais je sentais que ça soignait en profondeur. Duo gagnant. Des personnes qui me veulent du bien. Le bras en écharpe quelques jours et le feu a cessé, la main a dégonflé, les douleurs se sont atténuées petit à petit et l’angoisse de ne plus pouvoir écrire a laissé la place à la joie de pouvoir me remettre au travail malgré l’attelle. 

Pendre les cadres dans la nouvelle maison devait attendre, ce que je rêvais de faire depuis le retour du ski. Des petits exercices de patience. Se contenter de ce qu’on est capable de faire à une main (gauche) et se réjouir du retour de Willy de l’école pour me préparer ma salade que je n’avais pas pu me préparer à midi. Coupez un chou pointu de la main gauche, ouvrez une conserve de maquereaux ou un pot de confiture car l’autre est vide, habillez-vous, lacez vos chaussures, enfilez des chaussettes à une main, vous verrez comme c’est frustrant, parfois je pleurais d’énervement. Je trouvais que la route devenait un peu longue. Je faisais juste pas très fort quand je demandais à mon fils de déboucher une bouteille de vin pour m’offrir un verre avant le retour de Didier… La route était longue mais l’expérience était intéressante, tant qu’à faire ! L’occasion de vivre la pleine conscience dans toute sa splendeur quand on n’a plus que sa « mauvaise main ». On est quelques semaines plus tard, je continue à tout faire de la main gauche (je suis devenue super bonne) car la droite n’est pas encore très vaillante. En revanche, elle coopère gentiment et me permet d’écrire ! J’ai même réussi à ressortir mon appareil pro pour immortaliser les azalées en fleurs, les abeilles qui les butinent, les bourgeons des pommiers et des poiriers, les pâquerettes. Tout le monde s’en fout des pâquerettes mais avez-vous déjà observé leur beauté ?

L’opération de la main gauche a été reportée et elle n’aura peut-être jamais lieu. Le chirurgien avait dit « Y des trucs bizarres, parfois on opère d’un côté et l’autre va mieux » avant l’opération mais je sentais qu’il n’était pas du tout ouvert à comprendre ce genre de phénomène (méridien, le corps en miroir,…). La prothèse de nuit fait l’affaire, je touche du bois.

Je terminerai par l’épisode des prothèses que j’ai déplacé dans un autre blog “C’est pas un A qu’il vous faut mais un AA-1”.

Quelques semaines plus tard, le coronavirus devenait petit à petit une réalité tangible et effrayante… La Chine, l’Italie, l’Espagne, la France, la Belgique, les guéguerres politiques par rapport à la décision du lock down, l’Europe qui ne se met pas d’accord, le virus qui frappe toutes les tranches d’âge, les images de cercueils qui s’entassent, la souffrance et la joie malgré tout, les journées qui se ressemblent tristement pour certains, la nature qui reprend ses droits, la solidarité, la planète qui respire, les héros qui sortent de l’ombre, les gens qui applaudissent à 20 heures, le personnel soignant épuisé, le matériel manquant rendant leur tâche plus éprouvante encore, mon impuissance face à tout cela, la musique sur la toile et dans nos jardins, la peur et la confiance, la vie précieuse qui prend fin pour certains et qui s’exprime davantage pour d’autres, les échanges avec Xavier, la famille, les amis, et l’opportunité de vivre une expérience enrichissante. 

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