Il était une fois une petite bulle toute fragile qui avait très peur qu’on souffle dessus et qu’elle éclate.
Il était une fois une petite bulle très perméable qui avait si peur de se laisser envahir.
Il était une fois une petite bulle très sensible qui avait peur de se briser.
Il était une fois une petite bulle volant librement dans un no man’s land, une zone tampon, qui avait du mal à retrouver ses repères.
Il était une fois une petite bulle toute érodée qui avait du mal à affronter l’agressivité, la méchanceté, les critiques vaines, la haine du monde.
Il était une fois une petite bulle qui était restée bien au chaud et qui avait peur de se refroidir au contact du dehors.
Il était une fois une petite bulle qui avait parfois un peu de mal à se joindre aux autres bulles.
Il était une fois une petite goutte qui ne voulait pas se dissoudre pour faire partie du grand océan.

Le post-cancer… c’est parfois cette petite bulle, cette petite goutte, cette petite larme qui coule car elle a perdu ses repères dans une nouvelle réalité. Le contenu de la petite bulle a changé mais le monde extérieur, non. Plus forte, plus joyeuse, plus déterminée, plus imperméable, mais aussi plus fragile, plus sensible, plus perméable. Y a de quoi se perdre, je vous comprends, car je dis une chose et son contraire. N’est-ce pas cela la vie ? Ne sommes-nous pas cela, une chose et son contraire ? Un amas de forces antagonistes, contradictoires, de tensions intempestives, parfois infernales ?
Parfois, les forces s’accordent et les tensions se calment ; parfois c’est le chaos intégral. Des doutes, des peurs, des pleurs, une attaque prise en plein cœur, une méchanceté qui ébranle, une perte totale de confiance, une critique qui perturbe, un château de cartes qui s’écroule, un funambule sur un fil suspendu au-dessus d’un précipice, tout peut basculer. Tout est fragile, et parfois tout est triste.
Quand les forces s’alignent, tout semble juste, vrai, authentique. La confiance revient, le regard s’ouvre, le torse se gonfle, les joues se décrispent pour esquisser un sourire, les montagnes ne paraissent plus insurmontables. La dureté de la vie ne semble plus être un obstacle mais un tremplin pour évoluer, mûrir, prendre des forces, devenir plus intelligent. L’intelligence de la tête, du cœur et du corps.
Un jour, c’est la cacophonie ; un autre, les forces résonnent comme une douce mélodie. Tiens, disons la Valse Op. Posthume en La mineur de Chopin, harmonieuse, agréable, elle nous emporte. Ces fameux accords que j’adore et puis ceux que je n’aime pas du tout car ils sonnent faux. Et pourtant, quand le morceau est assemblé, le rythme est parfait et on danse entre ces sons plus doux et ceux plus durs à l’oreille et au cœur mais pourtant bien indispensables. La Vie…
Un ami me disait être tombé sur un passage de livre d’un scientifique qui posait une question intéressante. Il traitait du bonheur et disait : Est-ce que vous voudriez dire à la fin de votre vie que vous avez toujours été heureux ? Comment cette question résonne-t-elle en vous ? Il y a quelque chose qui sonne faux en moi. Et vous ? Est-ce que vous voudriez dire que vous n’avez jamais été touché ou abattu par la tristesse, le chagrin, la perte, un événement difficile, … ? Est-ce que vous voudriez dire que vous n’avez jamais connu le contraste énorme entre la peine intense et la joie intense ? Est-ce que vous voudriez dire que vous avez eu une vie gentiment heureuse ? L’ataraxie constante, l’absence de douleur, un voyage sans tempêtes, une mer huileuse tous les jours pendant 100 ans, une montagne russe plate (un monorail en somme), un voyage pépère sans hauts et sans bas ? La question est complexe et mérite réflexion.
C’est quoi la Vie ? Qui suis-je pour poser cette question et même y répondre ? Personne. Je n’ai rien de plus que chacun et chacune de vous. J’ai peut-être eu un peu plus de temps que certains d’entre vous ces derniers mois pour me prendre la tête avec ces interrogations. C’est tout. Je continue juste à les partager. Et on est reparti pour un tour car les réponses sont, elles aussi, parfois contradictoires. « La vie est un long fleuve tranquille » n’est que le titre du film génial de Étienne Chatiliez. La réalité nous prouve le contraire et pourtant… cette vie est si attachante. On y tient. On y tient fort, on se bat pour elle, on se bat pour celle de nos enfants, parfois de nos parents, de nos amis. Y en a qui n’y tiennent pas ou plus, et je trouve que c’est d’une tristesse sans nom.
Je parle à demi-mot, la goutte, le monorail, les accords, les forces, les tremplins, les petites bulles, vous avez compris, c’est parfois très dur le post-cancer comme le post-covid, le postpartum, le post-burnout, le post-quelque-chose-qui-nous-a-marqué-et-qui-nous-a-changé. « Elle nous a bien souvent dit que le cancer est venu la repêcher car elle se perdait et maintenant elle nous balance que l’après-cancer est dur et qu’elle est un peu perdue, faut être cohérente ma petite dame. » On a tenu, on a tenu jour après jour, on avançait et tout à coup, paf un vide. Être victime « a posteriori », j’avais lu cela sur le net quand j’étais en plein dans mes traitements et je m’étais dit que ça n’allait jamais m’arriver.
Le tsunami/le vide, la tempête/le calme, l’avant/l’après. L’après meilleur, mieux, « autre » mais il y a cette zone tampon, ce passage, cette transition qui est parfois perturbante. De la solitude, une espèce de sentiment d’être à deux mètres du sol et d’observer, d’être différente. Pas toujours mais parfois. Magali Mertens parle très bien de l’après-cancer, elle nous partage le coup de mou géant qu’elle a éprouvé un an après ses traitements. Elle nous expliquer ce qu’elle a fait pour s’aider et aujourd’hui, elle aide les personnes à sortir de ce creux dont on ne parle finalement pas ou peu. L’après-cancer ou le post-cancer sont une réalité qu’il ne faut pas négliger. Je vous invite à visiter son site et la vidéo présentant son App Empowerme.
Et puis il y aura la fin du livre. Ne suis-je pas en train de tout confondre ? C’est quoi finalement qui provoque ce sentiment de vide et ces élans de mélancolie ? L’après-cancer ou la fin du livre ? Finalement c’est un peu la même chose, les deux coïncident, un projet d’un an, une tranche de vie, une espèce de petite routine qui rassure, ces blogs écrits dans ma petite bulle après chaque moment fort. Les personnes parlent de « post-writum depression ». Tiens ! Voilà encore un post-quelque-chose. Des réalisateurs de cinéma et des écrivains peuvent vivre un creux énorme après avoir travaillé corps et âme sur un projet qui les a maintenus en haleine pendant des mois, des années, parfois des dizaines d’années. Ceci dit, j’ai un double sentiment, c’est le rush de la fin et j’ai hâte que ça se termine car je n’ai plus les ressources nécessaires pour gérer le stress (le cancer me les a ôtées), et je ressens déjà le vide de l’après… Encore une semaine pour la dernière relecture, la réunion pour le choix des photos du carnet couleur qui sera au milieu du livre et puis, il faudra « let go of my baby and hope for the best » ! En maquette dans une semaine, en machine dans moins d’un mois !
Je pense qu’on peut tous trouver un « post-quelque-chose » à soi où on a ressenti ce vide, comme une espèce d’énorme fatigue, le corps qui se relâche et qui décompresse. Des repères qu’on ne trouve plus. Réfléchissez… Magali parle d’une énorme fatigue qui n’a rien à voir avec la fatigue qu’on peut éprouver quand on n’a pas fermé l’œil pendant deux nuits. C’est une fatigue psychologique et j’avoue la ressentir pas mal ces derniers jours. Le coup de mou qui prend en un coup, sans raison, wow.
Tout va bien vous savez mais certains jours, certaines heures, certains moments, je flotte, un peu, parfois, beaucoup, je me demande où je vais. Ça paraît clair pour certains « Mais, t’as ton livre, la promotion de celui-ci, tes conférences, les articles de presse, le Gala BIG, d’autres projets cancer, t’es de nouveau super occupée. » C’est une autre espèce de flottement où le vide n’est plus ressenti comme le calme que j’ai particulièrement apprécié pendant les traitements. Se laisser soigner, s’occuper de soi, faire le vide, se reposer. Ça n’a rien à voir avec ce « rien » que j’aimais bien, cette pédale douce, cet arrêt dans ma vie où il faut laisser le corps se reconstruire. C’est une autre espèce de vide. Un vide bizarre. Un vide dont tout naît peut-être mais il y a cette transition, cette zone tampon qui est cafard un jour, source de fécondité un autre.
Vous écrire me fait du bien, plus que vous pouvez l’imaginer.
Et puis il y a aussi un autre vide. Celui laissé par le départ de ma petite famille de canards, je sens que certains rient derrière leur écran, mais c’est pas grave, d’autres pourront « ressentir » la peine. J’ai trouvé ça vraiment dur, j’adorais ces petites bêtes auxquelles je m’étais si fort attachée et en plus, je ne sais même pas si elles sont encore en vie car la mère fait des réapparitions de temps en temps en mode hydravion sur la mare, elle appelle ses petits (pas bon signe…), elle mange mes graines bio puis elle repart (j’espère les rejoindre…). Ils faisaient partie de la famille. Plus fondamentalement, cette cane et ces canetons m’ont aussi appris à ralentir et juste « être ». Des heures de shooting, changer les œufs la nuit, attendre ces naissances, les anticiper, se réjouir, en rêver, prendre soin, lire des dizaines d’articles sur la vie des canards, énormément prendre soin de cette cane, la protéger de la pluie, du soleil, une préoccupation constante, les prédateurs à chasser, … Prendre soin, c’est formidable. Je comprends tellement pourquoi David Servan-Schreiber consacre un chapitre de son bouquin « Guérir » à l’importance de prendre soin d’un animal domestique quand une personne se sent seule.




Je vous passe les détails des aventures qu’ils nous ont fait vivre, toute la chaussée de la Hulpe à Maleizen est au courant, le trafic routier a déjà été arrêté (par moi) à maintes reprises pour que cette petite famille ne se fasse pas écraser, les voisins ont rentré chats, chiens, chevaux, moutons, lapins, … pour protéger ces petites créatures qui tentaient de s’enfuir. Des réactions disproportionnées de ma part (Didier a fait pas mal dans le genre aussi), une hypersensibilité (Didier aussi). Je devais juste les laisser partir, c’est tout mais je ne voulais pas, je voulais prendre soin d’eux encore un petit temps (Didier aussi). Ils ont été malins, ils ont trouvé un moment pour s’évader la nuit, la cane avec ses neuf petits en pleine nuit « Chuuut, Delph dort, c’est le moment pour nous de quitter le nid, elle ne nous retiendra plus. » Ils ont eu raison. Je devais aussi « let go of my babies and hope for the best. »

Et puis le départ du dernier, William, l’année prochaine. En avant pour la grande aventure, l’école hôtelière de La Haie, campus Amsterdam. La vie avance. Des petits vides, des petits deuils et des grands départs, départ de la maison et départ dans la vie.
Une nouvelle vie à reconstruire, un équilibre à retrouver entre l’être et le faire. Des projets. J’ai vendu quelques programmes Happy Spoon ces derniers jours, mais je n’ai pas envie de replonger dans la nutri et la psycho du comportement alimentaire. Le piano, la photo et les projets cancer, mais prendre le temps de trouver ceux qui sont justes et ne plus foncer tête baissée.
Une nouvelle vie à reconstruire, ainsi qu’une poitrine. J’ai arrêté de tourner en rond avec des jugements incessants « Delphine, tu es vraiment nulle de ne pas être au-dessus de tout ça, tu n’as pas besoin de reconstruire. » N’importe quoi… vraiment n’importe quoi. Comme si j’étais « moins bien », « moins courageuse » de vouloir reconstruire. Ridicule, je suis bien contente de m’être dit que je faisais mauvaise route et que je me plantais royalement.
J’ai choisi Docteur « Je maîtrise toutes les techniques » pour la longue route. Pas envie de prothèse en silicone alors c’est un peu le parcours du combattant. Il utilisera un lambeau de peau de l’intérieur d’une cuisse pour reconstruire un sein (pas un C évidemment, ni même un B, ni même un généreux A…) et ce qu’il trouvera ailleurs pour équilibrer l’autre. C’est un travail d’orfèvre et il faut être patiente. L’opération a lieu le 1er décembre, plus tôt si une place se libère. L’expandeur est la première étape, il sera gonflé chaque semaine avec 50 ml puis 4 mois plus tard, si tout se déroule comme prévu, la grande opération a lieu et il faut espérer que la greffe prenne mais j’ai confiance car Docteur « Je maîtrise toutes les techniques » est un champion du monde médaille d’or. Il faut encore compter 2 à 3 étapes (anesthésies générales mais généralement en hôpital de jour) pour les petites retouches, le mamelon, le tatouage, le lipofilling, … C’est pas très glamour vous savez, la chirurgie reconstructrice est une autre réalité que la chirurgie esthétique, mais je suis très contente de ce choix, j’en ai vraiment ras-le-bol d’être comme je suis.
Je reconnais que c’est un peu héroïque ce petit torse mutilé, c’est même assez joli car la cicatrice de Docteur Derek est juste splendide mais je veux passer à autre chose. Plus rien à foutre du symbole de la résilience, la petite zone de guerre et tout et tout, j’ai besoin de passer à autre chose. J’ai envie d’avoir deux seins, et c’est compliqué pendant les mois d’été. Je vous vois toutes en petites robes à croquer et je me sens un peu paumée. C’est pas très grave mais c’est pas très gai non plus. Y aura les plages de l’île d’Yeu, celles de Bretagne et je ne vais pas dire que ça me stresse mais plutôt que ça me fait un peu de peine de n’avoir qu’un sein dans ces moments-là. C’est de nouveau ce sentiment d’être en décalage, et cette solitude aussi…
Et puis j’ai envie de terminer ce post par un petit truc qui me chipote, un petit quelque chose qui me bloque quand je pense à la sortie du livre, aux conférences, aux articles qui en parleront, à ce décalage entre cette année passée dans ma petite bulle et la petite bulle qui se livre, plus derrière un écran mais en vrai. J’ai un peu peur en fait. J’ai un peu peur de ce décalage, de ce contraste. Et puis que vais-je apporter pendant ces conférences ? J’ai un peu peur d’être exposée ‘d’une autre manière’. Je sais que ça ne va pas plaire à tout le monde, c’est normal. Je sais aussi que j’aurai des critiques peut-être pas toujours super bienveillantes, j’en ai déjà eues, même si ça n’a rien à voir avec moi, ma petite couche de protection étant légèrement érodée, ça peut me faire de la peine mais c’est bien, je dois apprendre à me renforcer. Tout ce que je souhaite, c’est que le partage de mon aventure ne décourage pas certaines personnes qui se sentent un peu plus noyées le jour où elles liront un passage ou un article qui pourrait leur sembler « trop positif ». Parfois les infos n’arrivent pas du tout au bon moment. Certains jours, nos filtres sont tout noirs, teintés par nos souffrances et notre passé ; d’autres jours, ils tout sont roses, teintés par notre force de vie, nos espoirs, notre optimisme. C’est bien d’en être conscient.
Je n’ai pas de recette miracle, je partage juste mon ressenti sans nier la difficulté du réel et j’aimerais juste dire : Pas de découragement, ça monte et ça descend. Après la montée, il y a la descente. Après la peine, il y a la joie que la peine amplifie. La joie est toujours là prête à être accueillie ! Il faut être prêt à tendre les bras…
Je vous avais promis les recettes du curry thaï et du Poke Bowl, je vous les promets encore mais elles arriveront dans un autre post dès que j’aurai clôturé le bouquin.
Je vous embrasse fort et vous souhaite de bonnes vacances !
